French flair (& food), menu du 26 juin 2023
Musée à manger
Le restaurant elBulli et son chef Ferran Adria, fer de lance de la gastronomie moléculaire, ont clairement révolutionné la gastronomie mondiale dans les années 2000. A l’époque, le restaurant a trusté les premières places des classements mondiaux et Ferran Adria a récolté de nombreux prix. La liste d’attente était de plus d’un an et les happy fews qui avaient la chance (et les moyens !) de pouvoir vivre cette expérience unique au monde étaient quasiment considérés comme des demi-dieux dans les milieux de la food.
Rarement un restaurant n’a braqué autant les projecteurs sur lui et continue à marquer à ce point les esprits.
L’annonce de la fermeture définitive le 30 juillet 2011 a donc créé la surprise et plongé beaucoup de gourmets dans un profond désarroi.
Tel le phœnix, elBulli ressuscite de ses cendres et a rouvert depuis le 15 juin sous forme d’un musée au même endroit.
Ce musée elBulli1846 propose donc un parcours de 2 heures pour comprendre ce qu’a représenté elBulli et inviter à une réflexion sur la gastronomie et l’innovation. Structuré autour de 4 espaces (la “forêt de l’innovation”, la théorie de l’évolution culinaire, la cuisine comme langage et la visite de l’ancien restaurant et des cuisines), elBulli1846 permet à tous les amateurs de revivre l’expérience à défaut de pouvoir y goûter !
Buzz sans booze
Tout le monde a en tête le célèbre slogan « Sans alcool, la fête est plus folle ».
Soyons réalistes, ce slogan avait plutôt valeur de méthode Coué dans un monde où les moments de fête et de socialisation étaient intrinsèquement liés à la consommation d’alcool.
Mais maintenant, sans alcool la fête peut VRAIMENT être plus folle et la tendance du no/low alcohol s’annonce comme une lame de fond de la décennie.
Décryptage de la tendance
Avant de rentrer plus en détail dans les éléments d’explication de cette tendance de fond, quelques chiffres qui parlent d’eux-mêmes :
En France, la consommation d’alcool a diminué de 30% en 20 ans
En France toujours, la consommation d’alcool était de 200,7 litres par an et par habitant en 1960. Elle était de 79,6 litres en 2018
Au niveau mondial, la catégorie des boissons sans ou faible en alcool a dépassé les 11 milliards de dollars en valeur en 2022. Pour 2026, on prévoit une hausse de 30% de cette même catégorie
Aux US, le marché de la bière sans alcool pourrait représenter à terme 1/5 du marché global de la bière
Les marchés espagnol et allemand sont les plus matures en termes de boissons sans alcool, les marchés US et UK représentent le plus fort potentiel (+28% de croissance prévue pour les US d’ici 2025 et +6% pour le UK)
80% des consommateurs boivent toujours de l’alcool mais sont aussi intéressés par des alternatives sans
Au-delà des milliards brassés (dans tous les sens du terme !) par le marché des boissons sans alcool, c’est cette dernière statistique qui est la plus intéressante car elle révèle un changement d’état d’esprit complet. Elle affirme cette montée de l’individualisme que l’on observe dans plusieurs domaines et le souhait de questionner les normes établies.
En effet, avant, les boissons alcoolisées étaient considérées comme un des marqueurs des moments de convivialité. Quand on ne buvait pas d’alcool, c’était très majoritairement car on y était contraint (grossesse, religion, raison de santé). Les rares personnes qui ne buvaient pas par goût subissaient une forte pression sociale et devaient passer des heures à se justifier. Bref, ne pas boire d’alcool n’était pas « normal » et donc les propositions sans alcool étaient peu voire pas développées. Les alternatives se trouvaient du côté des enfants avec les classiques jus de fruits et sodas.
Désormais, les mentalités changent et le consommateur est désormais pluriel. Il ne veut plus être classé dans une catégorie avec/sans mais il aime alterner. Il peut boire de l’alcool à une soirée et pas à la suivante, faire volontairement une période sans alcool (le Dry January est la plus connue mais on peut aussi mentionner le Sober October) ou vouloir tout simplement profiter d’une soirée (ou du lendemain !). Trois raisons principales expliquent ce phénomène. La santé tout d’abord (les nombreuses campagnes de santé publique portent leurs fruits), la législation ensuite (les réglementations strictes de degré d’alcoolémie et de conduite) et enfin une approche beaucoup plus nouvelle, le « mindful drinking ». Ce mindful drinking, très présent dans les générations 18-35 ans, consiste en une consommation en pleine conscience. On ne boit plus par habitude ou pour répondre à la pression sociale mais uniquement par envie. Il va de pair avec la reconnexion à soi-même et le retour à une certaine intériorité très fortement accélérée par le Covid.
Bref, on ne boit plus pour faire comme les autres. Le sans alcool n’est plus une contrainte mais une envie et une tendance devenue virale : sur Pinterest, le nombre de requêtes pour les cocktails sans alcool a augmenté de 225% et sur TikTok, le nombre de vidéos de cocktail sans alcool explose aussi.
Mixologie et industrie
Comme toute tendance de consommation, la réponse des industriels n’a pas tardé à arriver avec deux options pour proposer des boissons sans alcool : soit désalcooliser des boissons alcoolisées connues (rhum, vin, bière) soit proposer des mélanges variés de plantes et jus pour obtenir une complexité aromatique proche de celle d’un cocktail classique (et loin d’un jus de fruit lambda).
L’option de désalcoolisation des boissons a été la première à se développer. Rendons à Ricard ce qui lui appartient, il a été le premier à proposer une version d’anisé sans alcool dès le début des années 80. Le tournant majeur a néanmoins été quand les industriels de la bière se sont mis à investir ce segment du low/no alcohol (Heineken, Corona ou Guiness), suivi ensuite par les producteurs de spiritueux (rhum, téquila ou gin). Le vin désalcoolisé est quant à lui apparu un peu plus tard sur le marché (sans doute à cause d’une résistance culturelle forte) mais compte désormais certaines marques qui ont réussi le pari de maintenir une qualité et une complexité aromatique même sans alcool (French Bloom de Constance Jablonski et Festillant pour les vins pétillants ou Moderato pour les vins non effervescents.)
L’alternative de création de nouvelles boissons a été plus longue à arriver sur le marché car plus complexe à développer. En effet, l’alcool est vecteur de goût. Composer une boisson sans alcool a donc un impact sur les arômes, la texture et l’équilibre global. Et élaborer une boisson sans alcool mais avec une complexité aromatique satisfaisante pour des palais qui connaissent les boissons alcoolisées nécessite donc de nouvelles techniques et technologies avec à la clé, des investissements élevés. On comprend donc pourquoi ces nouvelles boissons sont arrivées sur le marché après les boissons désalcoolisées : il fallait d’abord valider l’opportunité business avant d’investir massivement. Dans ces nouvelles propositions, on peut notamment mentionner JPNR (un des acteurs majeurs du marché en France) mais aussi Seedlip, une société britannique qui se présente comme «les premiers spiritueux distillés sans alcool au monde » ou la marque De Soi, notamment fondée par Kate Perry.
Cidres, bières ou téquila sans alcool, vins désalcoolisés, thés fermentés, ginger beer, kombucha, hard seltzers nouvelle génération, les propositions sont désormais nombreuses tant en termes de goût que de format mais partagent toutes deux points communs : un packaging attractif pour inviter à la convivialité et un positionnement prix proche des boissons alcoolisées pour se positionner véritablement comme un alter ego et non pas comme un second choix.
Low alcohol mais pas low profile
Cette tendance sociétale de fond se retrouve aussi, bien entendu, dans le domaine de l’hospitalité avec une offre haut de gamme.
Chez les cavistes tout d’abord, deux initiatives intéressantes à noter : la cave Le paon qui boit à Paris qui se décrit comme une cave dédiée aux « boissons sans alcool pour adultes » et qui propose une sélection de plus de 450 boissons sans alcool pour que chacun trouve bonheur à son palais. Autre proposition, le site Gueule de Joie, une cave en ligne sans alcool, qui propose aussi une très large sélection pour – je cite – « apprécier une autre manière de boire, 100% goût, 0% alcool ».
Dans la restauration ensuite. De manière très pragmatique et d’un point de vue financier, les restaurateurs ont tout intérêt à proposer des boissons sans alcool. En effet, un client qui, sur un repas, ne souhaite pas boire d’alcool, choisira, sans alternative intéressante, de l’eau, au pire en carafe au mieux en bouteille. Quand on connait le positionnement prix des nouvelles boissons sans alcool, on comprend vite que le restaurant a tout intérêt à en proposer pour augmenter son chiffre d’affaires.
Une des pionnières en la matière a été la Chef étoilée Anne-Sophie Pic qui imagine depuis plusieurs années des accords mets/boissons sans alcool avec sa sommelière Paz Levinson. Aux Etats-Unis aussi, les sommeliers Miguel de Leon (NY) ou Kevin Bragg (Atlanta) proposent désormais un food pairing complet sans alcool dans leur restaurant gastronomique. Nouveau concept apparu à Paris, le restaurant Arboré propose une carte de cocktails sans préciser s’ils sont avec ou sans alcool mais uniquement en mentionnant les marqueurs de goût pour que les gens réapprennent à déguster avec ou sans alcool. Un des leurs cocktails bestsellers est d’ailleurs un cocktail sans alcool intitulé « Fleurs des champs » dont les descripteurs sont les suivants : camomille, rooibos, miel, fleur d’oranger et CO2. Enfin, dans la restauration toujours, de plus en plus de professionnels suivent le mouvement pour répondre à cette attente nouvelle de la clientèle en proposant à minima sur leur carte une option sans alcool. Figure de proue de cette nouvelle tendance, le sommelier Benoît d’Onofrio (qui a notamment collaboré avec Manon Fleury pour le Perchoir Menilmontant) se présente désormais comme Sobrelier pour valoriser cette nouvelle expertise qui s’inspire des techniques de vignerons (macération, extraction d’arômes, etc …) pour élaborer des recettes avec 0 degré d’alcool.
Dans l’hôtellerie enfin, le Ritz Paris, connu pour son emblématique Bar Hemingway et ses cocktails alcoolisés, propose désormais depuis sa réouverture 25% de cocktails sans alcool. Comme le décrit bien Romain de Courcy, le Chef Barman du Ritz,
« Faire la fête n’est plus systématiquement synonyme d’alcool. On estime que 1/5ème de nos clients commandent des cocktails sans alcool. ».
A plus grande envergure, le groupe hôtelier Hyatt a mis en place aux Etats-Unis un programme intitulé « Zero proof, zero judgment » qui vise à créer une expérience conviviale pour chacun via une carte de boissons élaborées sans alcool. Cette nouvelle offre répond à une demande croissante des voyageurs d’affaire qui font attention à leur hygiène de vie sans pour autant vouloir renoncer au plaisir d’une boisson de retour à l’hôtel. Pour Miranda Breedlove, directrice des bars et opérations lifestyle pour Hyatt, de plus en plus de leurs clients accordent de l’importance à leur santé mentale et physique, il a donc fallu repenser l’expérience client pour proposer des options exceptionnelles, qu’elles soient avec ou sans alcool.
Signe ultime de cette tendance de fond, même les compagnies aériennes – dont le prestige repose notamment sur la qualité du mini-bar – se mettent à proposer aussi des boissons sans alcool autres que les traditionnels sodas ou jus de fruits. Ainsi les voyageurs de la classe affaire de la compagnie Delta se voient désormais proposer des boissons Seedlip et de plus en plus de lounges étoffent leur carte de mocktails. Preuve en est que l’on peut planer sans alcool !
Lu, vu, entendu
Pour rester dans la boisson (avec un peu d’alcool cette fois-ci car comme vous l’avez compris on alterne !), le podcast du Wine Enthusiast - le media le plus influent aux Etats-Unis en matière de vin - consacre son épisode n°142 aux vins français. Et plus particulièrement à la mutation énorme qui est en train de s’opérer actuellement dans ce secteur assez conservateur. Avec son invité Jon Bonné, auteur du livre « The new French Wine, redefining the world’s greatest wine culture », la journaliste revient sur les changements tant climatiques que culturels qui sont en train de redessiner le paysage des vins français.
A écouter à petites gorgées !