Tout nouveau tout show
Vous connaissiez Eataly comme flagship store de la culture gastronomique italienne ? Et bien voici Irasshai, son équivalent pour le Japon !
C’est en effet une des ouvertures les plus remarquées de la rentrée : un concept store de 800m2 entièrement dédié à la culture et à la cuisine japonaises dans le 1er arrondissement de Paris.
A l’instar de son homologue transalpin, ce lieu a pour objectif de présenter et de faire vivre la culture culinaire japonaise dans sa version moderne, loin des clichés traditionnels.
Vous y trouverez ainsi une épicerie (avec des produits pointus tels qu’un miso rouge 5 étoiles mais aussi d’autres beaucoup plus kawaï comme un lait de soja à la banane ou diverses confiseries), un restaurant (allant du traditionnel sandwich sando à emporter à la table bistronomique) et un café qui se transforme, la nuit venue, en bar à cocktails avec des créations maison élaborées à partir des alcools japonais emblématiques.
Un délicieux (ni)pont vers le Pays du Soleil Levant !
Extension du domaine de la street
Dans l’imaginaire collectif, l’expression street-food renvoie, soit aux petites échoppes de rue en Asie, soit aux camions à hot-dog de New-York.
Pour autant, la street-food a toujours été présente en tout lieu (de la pizza frite à Naples à la Curry Wurst allemande en passant par la quesadilla au Mexique) et en tout temps : Patrick Rambourg dans son dernier livre mentionne une street-food du XIIIème siècle à Paris à base de pâtés ou flans chauds.
(Petite précision avant d’aller plus loin quant aux contours de la street-food : il s’agit aussi bien de repas achetés dans des food-trucks que de repas achetés dans des restaurants « en dur » et consommés à emporter, en marchant ou assis sur un banc, au travail ou à domicile).
La street-food telle que nous la connaissons aujourd’hui a mis du temps (eu du mal ?) à trouver sa place en France notamment à cause de l’ancrage culturel fort de la gastronomie, des repas à table et des rituels liés à la commensalité. Considérée avec dédain et mépris par rapport à la « haute cuisine française », elle a souvent été assimilée à de la fast-food et, par extension, à de la junk food.
Si l’évolution des mentalités s’est opérée petit à petit, on peut néanmoins identifier trois dates-clés qui ont contribué à favoriser son assimilation et surtout sa montée en gamme.
1996 : crise de la vache folle. Début d’une profonde mutation du secteur et d’une plus grande attention accordée aux ingrédients utilisés. Arrivée sur le marché de nouvelles enseignes de restauration rapide telles que Cojean ou Jour qui proposaient une alternative plus qualitative (et un peu plus chère) pour les pauses déjeuner rapides.
2016 : le Guide Michelin accorde une étoile à deux échoppes de rue à Singapour. C’est la toute première fois que des lieux de street-food obtiennent cette prestigieuse distinction. Un choix, il faut le reconnaître, audacieux du fameux guide rouge qui permet à la street-food de gagner en considération.
2020 : crise du Covid. Fermeture immédiate de tous les restaurants. Les chefs, pour ne pas perdre ce qui les fait vivre (dans tous les sens du terme), se mettent à proposer des plats à emporter pour faire tourner les cuisines et garder le lien avec leurs clients. Ce qui était perçu avec circonspection quelques années avant se trouve valorisé.
Depuis, le secteur ne s’est jamais aussi bien porté (contrairement à d’autres domaines, il n’y a pas eu d’effet “soufflé” à la fin du Covid) et la street-food fait désormais partie intégrante de nos habitudes alimentaires, au même titre que le repas à table à la maison ou au restaurant.
En festival (à Lille, Paris ou Lyon), en documentaire (Street food sur Netflix) ou en livre (de We love street-food - chez First, en français malgré son titre - au Grand livre de la street-food, Hachette), elle se décline désormais à toutes les sauces.
Version salée
Les initiatives de grands chefs dans la street-food ne datent pas d’hier, on peut penser notamment à Marc Veyrat avec ses bocaux en 2014 ou à Alain Ducasse avec sa boulangerie BE en 2006.
Toutefois, beaucoup de ces premières tentatives se sont soldées par un échec car les chefs voulaient alors créer une restauration rapide sans renoncer aux codes liés à la gastronomie, à savoir : rareté, qualité des produits et exception.
Comme l’explique Gilles Fumey, qui a dirigé le pôle « Alimentation, risques et santé » du CNRS :
“Il y a, chez certains chefs étoilés qui se ratent, une méconnaissance totale de ce qu’est le fast-food, ils n’ont jamais fait la queue à midi sur un trottoir” (NDLA : ceci est surtout vrai pour les anciennes générations de chefs)
En effet, cuisiner de la street-food ne signifie pas mettre dans une boîte des plats normalement servis à l’assiette. Cela implique une logistique de volume, de vitesse d’exécution, de codes gustatifs (plaisir immédiat – pas de progression comme dans un menu en 5 services), de formats (contrainte de packaging et facilité à manger en ambulatoire) que beaucoup de chefs ont sous-estimés au départ.
Les chefs qui se sont lancés par opportunisme ou nécessité, sans repenser leur cuisine, n’ont pas obtenu le succès escompté.
Pour Thierry Marx interrogé par Le Monde :
« Il faut avoir la fibre. Ne pas chercher à ampouler la street-food et être capable de faire de l’artisanat avec une rigueur industrielle ».
Dans les initiatives réussies d’avant Covid, on peut mentionner en France, Frenchie to go de Grégory Marchand (qui change de concept et va rouvrir prochainement sous le nom de Altro Frenchie), les baos de Adeline Grattard à la Boutique Yam’cha, le Capucin de Michel et Sébastien Bras ou Boco des frères Ferniot (enseigne qui s’est depuis recentrée uniquement sur le B2B).
Dans celles d’après Covid – toujours en France – Saj les galettes libanaises de Alan Geaam ; MOSUGO, la comfort food de Mory Sacko, le Pic-up truck de Anne-Sophie Pic ou le food-truck Michel de Alexandre Mazzia (sans citer tous les burgers avec notamment Yannick Alleno et Hélène Darroze).
A l’étranger, David Chang est un porte-drapeau de la culture street-food, tant par ses restaurants Momofuku que par sa série Netflix Ugly Delicious. Les taco trucks Kogi à Los Angeles, Thrill Grill à Amsterdam ou le Gordon Ramsay street burger sont aussi des enseignes portées par un chef mais qui réussissent dans un univers de restauration rapide.
A chaque fois, on se rend bien compte que les chefs ont été capables de garder leur style tout en s’adaptant à l’univers de la street-food dans son ensemble.
De manière plus futile (mais parfaitement assumée dans cette newsletter !), les codes du streetwear s’infiltrent dans les restaurants. En effet, il n’est plus rare de voir en salle des serveurs en jean et sneakers ou des chefs avec des vestes de cuisine en denim pour un look « urbain cool chic ».
Version sucrée
Comme dans chaque transformation profonde du secteur, la cuisine a un temps d’avance sur la pâtisserie.
Certes, certains gâteaux peuvent naturellement être mangés de manière ambulatoire (viennoiserie ou gâteau de voyage). Mais qui ne s’est jamais retrouvé avec la moitié de la crème de son Paris-Brest sur le trottoir car le format n’est pas approprié à la consommation nomade ?
Si la prise en compte de la dimension street-food (et des contraintes citées plus haut) n’est pas encore complétement intégrée dans l’offre sucrée haut de gamme, on peut néanmoins déjà mentionner quelques belles initiatives couronnées de succès.
Dès 2016, Yann Couvreur réalisait une création exclusive pour Deliveroo (i.e. qui supporte les contraintes de livraison).
Pierre Hermé, avec ses cafés positionnés dans les gares, propose une offre différente de celle de ses boutiques habituelles, justement tournée vers la consommation nomade : boissons aux saveurs phares de la maison, sandwichs et bien entendu les incontournables macarons.
François Perret, le chef-pâtissier du Ritz, est le premier à avoir clairement revendiqué un positionnement axé sur une consommation ambulatoire lors de l’ouverture du Ritz Paris le Comptoir en 2021. Comme il l’explique :
« J’ai conçu certaines créations pour pouvoir les déguster debout en flânant dans le quartier. »
La série The Chef in a truck diffusée par Netflix (3ème fois que je cite Netflix dans cette newsletter, on se rend compte de son pouvoir d’influence !) l’avait déjà mis sous les feux de la rampe en 2020 dans une démarche volontairement axée sur la street-food avec un style de chef.
Dans cette boutique, François Perret propose ainsi des pâtisseries et sandwichs au format finger et donc faciles à manger (Mille-feuille to go notamment). Une autre de ses créations les plus emblématiques est la « boisson pâtissière », un dessert sous format liquide reprenant les marqueurs de goût du cake marbré ou de la barquette caramel.
Version fashion
La street-food a d’abord été présente dans les défilés de créateurs. Dès 2014, Jeremy Scott faisait défiler chez Moschino un sac rouge et jaune avec un « M » très largement inspiré de la forme de celui de McDonald’s. Balenciaga proposait pour sa part en 2022 un sac pochette à l’image d’un paquet de chips Lay’s et on ne compte plus depuis le nombre de vêtements « cool » avec des illustrations de part de pizza ou de burger.
Désormais les liens entre domaine du luxe et restauration rapide sont de plus en plus nombreux, aussi bien de manière éphémère que durable. Côté chariot de glace, on peut mentionner Maison Margiela, ou YSL pendant la période estivale. Mais aussi le food-truck Burberry durant la Fashion Week de Londres ou celui de Boucheron en juillet dernier place Vendôme, le « Lucky Chance Diner » de Chanel à New-York ou la boutique de croissants Nudake Sinsa imaginée par Gentle Monster (une marque de mode très pointue) en Corée.
A chaque fois, que ce soit pour la haute couture ou pour la haute cuisine, la street-food permet aux marques ou aux personnalités de maintenir avec leurs clients un lien à la fois sensoriel (dans la street-food on entend, sent, voit la préparation, ce qui n’est pas le cas dans une cuisine classique fermée) et émotionnel (la street-food, comme nous l’avons mentionné plus haut, est articulée autour d’un plaisir très immédiat et « comfort »).
Cette nouvelle street-food revisitée avec les codes de la gastronomie (ou tout du moins avec des codes plus travaillés) s’installe complètement dans le paysage culinaire contemporain. A tel point qu’un terme a même été inventé pour la nommer : on parle désormais de « elevated food ».
On atteint des sommets !
Lu, vu, entendu
En cette rentrée littéraire, une petite sélection très partiale et partielle des nouvelles parutions, loin des blockbusters tels que les guides du vin, l’index glycémique ou la cuisine des rugbymen.
Histoire du Paris gastronomique du Moyen-Âge à nos jours, de Patrick Rambourg, aux éditions Perrin. Ce livre, mentionné plus haut, retrace (comme son nom l’indique !) l’histoire de Paris des pâtés chauds aux bouillons en passant par les institutions telles que la Closerie des Lilas.
L’art de tremper, de P.F. Roy aux éditions Créaphis. Un petit traité drôle et documenté sur un geste typiquement français.
Artusi, de Alessandra Pierini et Stéphane Saulier aux éditions de l’Epure. La traduction d’une bible culinaire ménagère italienne avec les éclairages et les anecdotes des deux auteurs.
Street-food spécial Asie, de Jean-François Mallet aux éditions Hachette cuisine. Pour rester dans la thématique de cette newsletter, un livre avec de superbes photos pour cuisiner chez soi des recettes de street-food asiatiques.
Cuisine juive à New-York, de Annabelle Schachmes aux éditions Hachette pratique. Car j’apprécie autant l’auteur que la thématique et puis c’est tout.
Le livre de cuisine officiel Netflix, de Anna Painter aux éditions Mana Books. Livre que je n’achèterai certainement pas mais qui est une preuve de plus, s’il en faut, de la part prépondérante que prend Netflix dans les tendances de société et de l’ère de “l’eatertainment.”
Merci beaucoup, j'adore tes analyses ultra pertinentes. J'aime beaucoup la nouvelle adresse japonaise que tu cites. Bonne journée.