French flair (& food), menu du 12 février 2024
Intérêt croissant
Il est intéressant de constater dans la sémantique française l’usage de l’adjectif « haut » pour décrire un concept artisanal, plutôt de luxe et prestigieux.
Si la haute couture est bien évidemment connue partout dans le monde (en français dans le texte), de nouvelles expressions apparaissent telles que “haute horlogerie”, “haute parfumerie” ou “haute maroquinerie”. Instantanément, elles suggèrent dans l’imaginaire du client à la fois le positionnement luxe et le caractère très français.
Pour ses 60 ans, Sofitel va encore plus loin en lançant le concept de … “haute croissanterie”. A cette occasion, la chaîne d’hôtels déploie dans ses établissements une offre salée et sucrée haut de gamme, construite autour du croissant et déclinée en fonction des cultures culinaires de ses différents chefs. Au lancement, vous pourrez déguster à Dubaï un croissant à l’avocat et au fromage de chèvre local, au Panama, un croissant aux notes citronnées et à Séoul, un croissant spicy aux épices coréennes et d’autres créations viendront rythmer l’année partout dans le monde.
En choisissant de s’appuyer sur l’emblème du petit-déjeuner français et en affirmant le caractère sophistiqué via son naming « haute croissanterie », Sofitel réaffirme ainsi son positionnement : « l’ambassadeur de l’élégance et de l’art de vivre à la française dans le monde ».
De Audrey Hepburn à Emily in Paris, le mythe du croissant français a encore de beaux jours devant lui !
Or-fève
Après un mois de janvier plein de bonnes résolutions en tous genres (et déjà largement non suivies), parlons aujourd’hui d’un sujet que je n’ai étonnamment jamais évoqué alors qu’il est ô combien présent dans mon quotidien : le chocolat.
Privilège de l’aristocratie à son arrivée en France, consommé pour ses vertus énergétiques et aphrodisiaques, il est petit à petit devenu un produit de grande consommation voire même un symbole de « food craving ». Le rayon chocolat est désormais un rayon incontournable des supermarchés avec des linéaires de tablettes de chocolat produites par des industriels de l’agro-alimentaire. Et, il faut le reconnaitre, tout le monde s’en contentait plus ou moins.
Mais les choses changent. Si le chocolat reste, bien entendu, d’abord et avant tout un produit de plaisir (« indulgence » pour les anglo-saxons), on constate que des attentes plus aspirationnelles sont venues se greffer. Non, on ne mange plus « bêtement » un carré (ou deux ou trois) de chocolat, mais on attend désormais de lui qu’il soit bien plus que ça.
Attente n°1 : le chocolat comme vecteur d’expérience
Avant, quand on mangeait du chocolat, la principale attente était … qu’il ait le goût du chocolat.
Maintenant, quand on croque un carré, on en espère une expérience de dégustation, qu’il emplisse le palais et nous emmène dans le monde de Willy Wonka. Le pionnier de ce type de positionnement est bien entendu Magnum, première marque de glace destinée uniquement aux adultes (historiquement la glace est plutôt perçue comme un produit pour enfants) et dont tous les codes (nom des produits, packaging, PLV, publicité) font comprendre clairement qu’on ne va pas juste manger une glace mais vivre une expérience de plaisir intense.
Dans cette recherche d’intensité, la palatabilité du chocolat, c’est-à-dire la sensation agréable provoquée lors de la dégustation, est donc très largement travaillée par les fabricants pour proposer des expériences multisensorielles. Au-delà de la fonte attendue classiquement pour du chocolat, les consommateurs recherchent désormais des mélanges de saveurs et de textures avec un plaisir immédiat. La satisfaction sensorielle (texture, son, visuel et goût) est donc très largement étudiée, tant par les industriels que par les chocolatiers plus artisanaux ; et les tablettes ou bonbons de chocolat sont désormais régulièrement agrémentés de ganache coulante (caramel, fruits, praliné) ou de toppings, voire des deux en même temps. Le phénomène s’est tellement développé que les exemples sont multiples mais on peut notamment citer un chocolat aux « pépites » de miel chez Cadburry, des bonbons de chocolat avec des inserts de cocktail tels que Negroni ou Caïpirinha chez Honold (Suisse), des tablettes au sucre pétillant chez Madame Cacao ou les fameuses « Barres infernales » de Pralus. Avec le développement de cette nouvelle offre, tout le monde est gagnant : les consommateurs qui auront, l’espace d’un instant, eu leur ticket d’or et les fabricants qui augmentent leur panier moyen (comme vous pouvez l’imaginer, ce type de chocolat « sensationnel » est vendu bien plus cher qu’une simple tablette de chocolat).
Toujours dans cette quête expérientielle, qui incarne clairement le leitmotiv du siècle, on peut mentionner aussi le chocolatier Raaka à New-York qui fait vieillir certains de ses chocolats dans des tonneaux de whisky. En effet, le beurre de cacao naturellement présent dans le chocolat le rend particulièrement perméable aux odeurs. Le chocolat, en « vieillissant » dans ces fûts va donc prendre des notes de spiritueux qui donneront à la dégustation une autre ampleur pour une expérience singulière. Dans un autre style, mais toujours avec cette motivation intrinsèque d’expérience, Hoct&Loca à Paris affiche la couleur dès sa baseline « Mes expériences chocolat », et promet des chocolats fondus qui vont embarquer le client dans un « véritable voyage initiatique », « une expérience douce et savoureuse ».
Bref, plus besoin d’aller au spa, mangez du chocolat.
Attente n°2 : le chocolat comme plaisir de connaisseur
En parallèle de cette recherche d’expérience sensationnelle (au sens propre), on constate aussi un intérêt croissant pour l’origine du chocolat, aussi bien en termes gustatifs qu’en termes de conditions de production.
Avant de rentrer plus en détail dans cette attente, faisons un pas de côté avec Nespresso. Nespresso, avec tout ce qu’on peut dire sur ce géant industriel et sa proposition ultra-marketée, a eu un mérite indéniable : faire monter le niveau moyen de connaissance des clients sur le café. Grâce à leurs capsules, chacune associée à une force et à un profil aromatique, ils ont fait prendre conscience aux consommateurs qu’on ne buvait pas simplement « du café » mais « des cafés » et que le terroir avait une influence sur le goût du café (à l’instar du vin).
Il en est de même pour le chocolat. Les consommateurs ont progressivement pris conscience qu’il n’y avait pas 3 chocolats (noir/lait/blanc) mais une multitude de chocolats en fonction à la fois de l’origine des fèves et du processus de transformation. Cette montée en connaissance, avec un vrai intérêt pour l’histoire autour du produit, s’apparente donc plus à un plaisir de connaisseur, plus « intellectualisé » et pas uniquement à un plaisir sensoriel immédiat.
Et donc concrètement, on croque quoi ?
On croque de plus en plus de chocolat « bean-to-bar » (c’est-à-dire que le chocolatier reçoit directement les fèves brutes de cacao et les transforme de A à Z – alors qu’historiquement les chocolatiers achetaient des pastilles de cacao de couverture déjà transformées par des intermédiaires types Valrhona, Chocolaterie de l’Opéra ou Barry Callebault). Jade Genin, par exemple, revendique clairement de travailler un chocolat de couverture pure origine et monovariétal. La boutique Kosak à Paris, quant à elle, se présente comme “dealer de grands crus” et ne propose que des tablettes bean-to-bar sourcées aux quatre coins du monde
On s’intéresse davantage aux différentes étapes de production pour apprécier des chocolats avec des caractères singuliers : tablette non conchée chez Alain Ducasse ou ouverture récente à Paris de la première boutique de la marque Sabadi, qui fabrique le « chocolat di Modica » - (seul chocolat à bénéficier d’une IGP) et à être produit uniquement à froid
On recherche des instants de dégustation, comme on pourrait le faire avec le vin, en goûtant plusieurs chocolats et en comparant leur profil aromatique et leur longueur en bouche. En témoigne le développement de coffrets tout prêts permettant d’organiser ces dégustations (coffret initiation « Les sens du chocolat » chez Cluizel ou coffret Valrhona « Les instants dégustation » par exemple)
On prend conscience des conditions de production et on achète, en connaissance de cause, des chocolats porteurs de labels pour un plaisir plus raisonné et responsable (Cacao trace, Fair Trade Original, Rainforest ou Slave-free chocolate par exemple)
On cherche, dans la même dynamique, à ne pas utiliser uniquement les fèves mais à valoriser et utiliser l’ensemble de la cabosse (qui représente environ 70% du produit brut et qui partait habituellement en déchet). Blue Stripes, une entreprise américaine, « upcycle » ainsi l’ensemble de la cabosse en proposant différents produits utilisant le « jus », les fibres ou le beurre de cacao.
Preuve s’il en fallait encore de cette tendance, l’ouverture récente de boutiques, non pas d’artisans, mais de groupes avec une grosse force de frappe qui témoignent du potentiel business du chocolat de connaisseur. Valrhona tout d’abord, qui investit de plus en plus la sphère B2C avec l’ouverture d’un lieu hybride à Paris entre découverte et dégustation pour valoriser son expertise de la filière ; Dengo ensuite, une marque brésilienne à impact social et environnemental beaucoup plus récente (5 ans) mais dirigée par Charles Znaty, ex-associé de Pierre Hermé et partie intégrante du succès de la maison éponyme.
Attente n°3 : le chocolat comme élément bien-être
Qui n’a jamais dit un jour « Je mange du chocolat, c’est bon pour le moral il y a du magnésium » ?
Ce qui était une boutade devient aujourd’hui de plus en plus réalité. Dans la tendance que nous avons évoquée dans la dernière newsletter de l’individu augmenté, le chocolat devient aussi un moyen de « body hacking ». On attend désormais de lui qu’il soit vraiment bon dans tous les sens du terme : bon à la dégustation, bon pour le corps, bon pour l’esprit.
Sur le marché, apparaissent ainsi de plus en plus de chocolats agrémentés d’ingrédients ou de nutriments bons pour la santé. En version soft, avec des fruits secs, des oléagineux ou des agrumes qui – dans l’inconscient collectif – sont synonymes d’aliments santé. En version hard avec des barres chocolatées qui annoncent fièrement être enrichies en fibres, calcium, vitamines ou oméga 3.
Sur ce segment de marché, au-delà de la composition nutritionnelle, c’est aussi la façon de marketer le chocolat qui devient complètement différente. Loin des codes de pur plaisir mentionnés dans la première attente, les chocolats doivent réussir ici le délicat équilibre de « healthy indulgence » dans tous les éléments de leur marketing mix : produits souvent sur des formats de snacking individuel, gammes chromatiques en fonction du bénéfice associé (ex. couleurs pastel pour des chocolats détente, vs. couleurs vives pour des chocolats plutôt destinés à renforcer l’organisme), noms évocateurs du bénéfice (« gut immunity », « stress reduction » ou « sweet dreams »).
Certaines marques, telles Delikao, vont même à la frontière de la cosmétologie avec des chocolats intitulés « Skin glow » enrichis en acide hyaluronique qui retardent le vieillissement cutané et le stress oxydatif (à raison de quelle quantité par jour ?).
Toujours dans cette tendance de chocolat comme révélateur de nos choix de vie, certains chocolatiers se sont mis, par conviction ou intérêt business, à développer des produits correspondant à des régimes alimentaires de plus en plus suivis.
Le chocolat vegan tout d’abord, à savoir un chocolat produit sans aucun intrant animal. Cette tendance de fond (41% des consommateurs au niveau mondial déclarent rechercher des chocolats « plant-based ») touche tous les acteurs de la filière : de l’artisan haut de gamme (Jade Genin de nouveau en permanent ou La Maison du Chocolat, en éphémère) au grand groupe industriel (Nestlé a commercialisé un KitKat complètement vegan et Lindt propose aussi 5 tablettes vegan), en passant par les hard-discounters (Aldi commercialise des pralinés vegan en Allemagne).
Le chocolat keto ensuite (qui correspond au régime cétogène). Pour l’instant beaucoup plus confidentiel, mais tout aussi révélateur de ce phénomène du chocolat comme partie intégrante de mon individualité, avec notamment la marque Awake qui propose des bouchées de chocolat « keto certified » ou la marque « Keto Hero » (rien que ça !) qui propose aussi toute une gamme de chocolats cétogènes.
On l’a bien compris, on ne mange plus « simplement du chocolat ». On attend de lui qu’il nous fasse faire un tour de montagnes russes dès la première bouchée, qu’il nous convertisse en Docteur ès Chocologie ou qu’il nous transforme en super-héros du quotidien.
De trois couleurs, le chocolat est désormais passé à 3 attentes … avec un prix aussi multiplié par 3 !
Lu, vu, entendu
En tant que descendante (à peine auto-proclamée) des Ducs de Bourgogne, je me devais de vous parler d’un livre à paraitre le 15 février aux éditions Menu Fretin, écrit par Matthieu Aussudre et intitulé Le bœuf bourguignon, petite histoire d’un grand plat.
Dans ce livre qui retrace toute l’histoire de ce plat emblématique de la culture culinaire française, on apprend notamment que le nom est mentionné pour la première fois en 1867. A travers une revue de littérature et une analyse approfondies, l’auteur répond à toutes les questions – existentielles – qui peuvent surgir lors de la préparation tant sur le choix de la viande que celui du vin, ou même du plat à utiliser.
Bref un manuel indispensable pour mieux comprendre (et surtout réussir) un plat phare de la convivialité à la française.
Et pour finir cette newsletter, quelle plus belle conclusion que la citation, extraite du livre, d’une Bourguignonne célèbre :
“Aujourd’hui, je veux un bœuf bourguignon,
mais qui soit de Bourgogne.”Colette.