French flair (& food), menu du 22 janvier 2024
Breakfast at Dior’s
Dans la stratégie de diversification qui conduit les maisons de luxe à se tourner vers l’hospitalité (que nous avons déjà évoquée à plusieurs reprises), Dior vient de franchir une étape supplémentaire. En effet, deux ans après l’ouverture de son premier Café Dior (à Paris, sous la houlette de Jean Imbert), la marque vient d’annoncer l’extension et l’internationalisation de son concept avec différentes implantations prévues notamment aux Etats-Unis ou au Japon.
Sous la houlette, cette fois-ci, d’Anne-Sophie Pic (qui vient de signer une collaboration de long terme avec la Maison), les “Café Dior” proposeront une pause gustative construite en prolongement de l’expérience de marque avec une carte d’entremets truffée de clins d’œil au style de la Maison (motif cannage, boutons en trompe l’œil, etc.).
Eaux de vie
Alors que certains comptent les jours jusqu’à la fin du Dry January, nous allons parler aujourd’hui … de l’eau ! Où plutôt de comment l’eau, en quelques décennies, est passée de “aqua non grata” à graal liquide pour humain du 3ème millénaire.
Pour faire un timelapse de la consommation d’eau, on peut retenir 3 périodes importantes
Au Moyen-Âge : on buvait très peu (voire pas du tout) d’eau. De mauvaise qualité, souvent boueuse et malsaine, elle était perçue comme vectrice de maladies et on lui préférait des boissons fermentées (vin ou bière) considérées comme plus « sures ».
Pendant la première moitié du 20ème siècle : à une époque où l’eau courante est encore loin d’être complétement développée et où sa qualité reste aléatoire, le vin est valorisé comme un synonyme de force et comme une boisson de confiance, citation de Pasteur à l’appui « Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons » (1866). Le vin - plus léger que celui actuellement commercialisé - est la boisson courante de table pour adultes ET enfants
En 1956 : Pierre Mendes France interdit l’alcool pour les mineurs (jusque-là, l’école servait du vin le midi aux écoliers). Il faudra attendre 1981 pour que le vin soit aussi interdit dans les lycées et qu’une circulaire mentionne enfin formellement que « L’eau est la seule boisson hygiénique recommandable à table »
Depuis l’eau fait partie de nos usages quotidiens (plate ou gazeuse, robinet ou en bouteille, nature ou aromatisée) et les recommandations du ministère de la santé (1,5 litre d’eau par jour) sont connues du plus grand nombre.
Mais, en ce début de décennie, l’eau franchit une étape de plus pour ne plus être seulement vue comme un moyen d’hydratation mais réellement comme un produit qui (re)ssource avec un haut potentiel de hype. Apparait alors une nouvelle catégorie : les eaux fonctionnelles. C’est-à-dire des eaux enrichies en vitamines et nutriments divers, alliant hydratation et nutrition et promettant des avantages à la fois pour notre santé et notre bien-être. Elle se distinguent des eaux vitaminées ou des eaux aromatisées à la fois par leur composition (sans sucre ajouté) et par leur promesse (bénéfices pour notre corps et notre mental).
Raison plus que raisin
Si on regarde quelques années en arrière, trois raisons principales permettent d’expliquer l’intérêt croissant pour les eaux fonctionnelles.
Le Covid (qui aura donc eu un impact sur quasiment tous les aspects de nos vies) : la crise sanitaire a en effet provoqué une demande accrue pour les produits fonctionnels, c’est-à-dire ayant des effets sur le corps. Contrairement à certaines autres tendances, celle-ci ne semble pas s’inverser avec la fin de la pandémie et les produits fonctionnels – eaux incluses – affichent des potentiels de marchés prometteurs
La baisse de la consommation de sodas. Avant, quand on décidait de ne pas boire d’alcool, les sodas représentaient souvent l’alternative « cool ». De nombreux études et documentaires sortis sur les effets néfastes à la fois du sucre (The sugar film, par exemple) et des édulcorants poussent progressivement les consommateurs à trouver d’autres alternatives sans alcool plus saines. Un seul fait témoigne de cette nouvelle dynamique : pendant des années, les sodas étaient la « boisson nationale » aux Etats-Unis. Pour la première fois en 2016, la consommation d’eau en bouteille a été supérieure à celle de sodas (et c’est toujours le cas depuis)
Une tendance plus profonde et propre à notre époque : une aspiration à devenir un individu « augmenté ». Comme le décrit très bien Marie Dollé dans sa newsletter, il s’agit finalement de l’extension à l’être humain du concept de « hacking ». Le hacking, au-delà de l’image immédiate liée à l’informatique, consiste en fait à exploiter les possibilités et vulnérabilités d’un élément mais également à le réparer et à le rendre meilleur. Cette pratique autrefois cantonnée aux objets s’étend désormais aux individus qui pensent que, par l’apport de certains nutriments ou composants, ils pourront devenir une version améliorée/augmentée d’eux-mêmes et influer tant sur leur niveau de performance que sur leur bien-être ou leur humeur. Les eaux fonctionnelles s’inscrivent totalement dans cette aspiration.
Nouvelle vache à lait eau des IAA
Dans cette grande catégorie des eaux fonctionnelles, on peut distinguer deux sous-catégories en fonction des bénéfices attendus : certaines eaux vont jouer sur la performance (amélioration de la concentration ou augmentation du tonus) tandis que d’autres vont se concentrer sur le bien-être (relaxation, drainage, digestion, lutte contre le stress).
Attention spoiler : il ne s’agit pas d’eaux miraculeuses. Si elles ont le mérite d’aider certaines personnes réfractaires à boire de l’eau régulièrement et si elles peuvent parfois apporter un petit coup de pouce, elles ne vous feront pas pour autant devenir marathonien, millionnaire ou paraître 20 ans de moins.
Néanmoins dans une catégorie globale en décrue (à cause des bouteilles plastiques et des nouvelles méthodes de filtration, les eaux sont de plus en plus délaissées par les consommateurs), elles ont le mérite d’apporter un nouveau dynamisme au rayon. A grands coups de marketing avec des noms évocateurs (« Focus » ou « Lxir life » par exemple) et des packagings attrayants (tant par les formes que les couleurs), leurs perspectives de croissance sont plus que prometteuses. En effet, la taille du marché de l’eau fonctionnelle devrait passer de 8,9 milliards de dollars en 2023 à 12,3 en 2028. Les géants du secteur ont flairé le bon filon et tous proposent désormais leur eau fonctionnelle : Danone avec Volvic Zest+, Nestlé avec Perrier Energize, Coca-Cola avec Vitamin Water, Dr. Pepper avec Core, San Benedetto avec une eau skin care et un nouveau poids lourd du groupe PepsiCo cette fois-ci va entrer sur le segment en 2024 : Gatorade Water.
Eau-spitalité
Au-delà de dynamiser nos supermarchés (et nous avec), ce regain d’intérêt pour l’eau a aussi un impact sur le domaine de l’hospitalité à 3 niveaux : nouveau métier, nouveaux lieux, nouvelles expériences.
Nouveau métier tout d’abord avec l’apparition des Water sommeliers. Loin d’être un titre farfelu, celui-ci révèle vraiment la montée en compétences (et en connaissances) sur l’eau dans l’hôtellerie et la restauration. Des sujets de discussion plutôt réservés initialement à des experts organoleptiques pour les industries agroalimentaires (la transparence, le degré de minéralité, la finesse de pétillance, le caractère volcanique ou métallique, etc.) deviennent désormais des sujets abordés lors du service pour conseiller au mieux les clients à la fois selon le menu choisi et leur goût personnel. Les hôtels et restaurants, en proposant à leurs clients le conseil d’un Water sommelier, leur permettent de vivre une expérience singulière de food pairing même s’ils ne boivent pas de vin. D’un point de vue purement business, ce nouveau métier de Water sommelier permet aussi très clairement de générer du chiffre d’affaires et de la marge additionnels (en invitant les clients à goûter une eau nettement plus chère que celle en carafe voire même à en essayer deux en fonction des plats).
Nouveau lieu ensuite avec les Water Bars (rendons à Colette ce qui lui appartient avec la création du premier Water Bar en France en 2011 !) : ce qui apparaissait, il y a quelques années, au mieux comme un truc de curistes au pire comme une secte, est désormais devenu un de ces nouveaux lieux de convivialité tendance. Des Water Bars ouvrent partout dans le monde des Etats-Unis à l’Italie en passant par le Royaume-Uni ou l’Inde avec à chaque fois, une dimension eau-nologique et une dimension fonctionnelle. Comme pour chaque tendance, Dubaï n’est pas en reste avec un AQUA Water Bar proposant pas moins de 30 recettes, chacune avec des bénéfices propres et clairement mentionnés sur la carte (« kick-start », « focus », « runner’s heaven » ou encore « appetizer »).
Nouvelle expérience enfin avec une dimension holistique dont les clients sont de plus en plus amateurs (nous en avions déjà parlé ici). En effet, en Suisse, les thermes de Bad Ragaz proposent désormais, en plus de l’expérience de cure classique, des sessions de dégustation avec un Water sommelier pour permettre à chaque personne durant son séjour de vivre et de ressentir l’eau dans toutes ses dimensions. Il y a fort à parier que ce type de cure (avec quasiment le côté mystique de l’immersion dans l’eau et de la renaissance) va se développer de plus en plus dans cette tendance de « personal hacking ».
Pour finir, comme toute tendance de fond, celle de l’eau s’est bien évidemment diffusée sur TikTok avec un challenge incitant les gens à boire 3 litres d’eau par jour, en la « pimpant » à grand renfort de sirops, d’édulcorants ou de poudres, à savoir des ingrédients ultra transformés. Parti (on l’espère) d’une bonne intention, ce challenge s’est révélé totalement polémique car très mauvais pour la santé non seulement à cause du volume d’eau recommandé - à la limite de la sur-consommation d’eau néfaste pour l’organisme (et oui c’est possible !) - mais surtout à cause des additifs que les gens mettaient en grande quantité dans leur eau pour atteindre les 3 litres par jour.
Le 20ème siècle a eu le Watergate, le 21ème siècle a le WaterTok !
Tea for two
Pour prolonger cette thématique des nouvelles boissons et du Dry (ou pas) January, voici un breuvage dont la singularité mérite d’être mentionnée : un thé infusé à froid et traité comme un vin, de la façon dont le produit est pensé, à la façon dont il est consommé.
La marque Grands Jardins (avec la signature « Les grands thés traités à la manière du vin ») propose en effet à ses clients de (re) découvrir la puissance aromatique des grands crus de thé et déroule toutes les étapes de consommation à la manière d’un grand cru (de raisin).
Concrètement ? Des thés d’une seule origine conditionnés dans des bouteilles de 75 cl avec des étiquettes rappelant les codes de la filière, une dégustation à la même température que les vins blancs et un vocabulaire de dégustation reprenant la sémantique du vin. Essentiellement destinés pour le moment au B2B, ces thés ont déjà séduit certains chefs tels Alexandre Mazzia, soucieux de proposer une expérience différente à leurs clients.
Il faut quand même noter que cette idée de « tea pairing » pour un menu gastronomique n’est pas nouvelle car Adeline Grattard et son mari Chi Wah la proposent déjà depuis de nombreuses années dans leur restaurant Yam’Tcha.
Par contre, le fait de le proposer à plus grande échelle et en reprenant les codes du vin témoigne clairement d’un tournant dans la façon d’aborder la convivialité : l’alcool n’est plus un vecteur indispensable d’un moment festif. (Même en France, c’est dire !)