French flair (& food), menu du 13 novembre 2023
Christmas is coming
En quelques années, le calendrier de l’Avent est passé dans la cour des grands, au sens propre du terme.
Autrefois petit rituel d’enfants avant Noël, il est désormais devenu une madeleine de Proust pour les adultes et un objet marketing incontournable (et très rentable) pour de nombreuses marques.
En effet, en plein dans la tendance de réconfort et de ludo-nostalgie (au même titre, par exemple, que les restaurants qui proposent du jambon-coquillettes et des jeux de société des années 80/90 pour les adultes), il est devenu un levier de business à une période cruciale en termes de chiffre d’affaires et offre pour les marques un avantage non négligeable : une présence à l’esprit quotidienne et dans la sphère familiale/ privée pendant une période de très forte consommation (Google ads ou Meta peuvent aller se rhabiller).
Les calendriers de l’Avent « pour adultes » de chocolatiers réputés ont été les premiers à être mis sur le marché, suivis par les produits de beauté, les thés, les fromages ou les bières. Désormais on peut trouver quasiment tout sous forme de calendrier de l’Avent et surtout à tous les niveaux de prix.
Pour celles et ceux qui n’ont pas encore fait le choix, voici une petite sélection de 5 calendriers foodie insolites :
Pour les amoureux de New-York, l’édition limitée MoMa et Le Chocolat des Français
Pour les amateurs de sensations fortes, le calendrier de sauces piquantes ou celui des moutardes Fallot
Pour les aficionados de saucisson, le calendrier Maison Bayle (champion du monde de boucherie)
Pour ceux qui ne fêtent pas Noël, le calendrier de Hanukkah
Pour les rétrostalgiques, le pot de petits biscuits numérotés
Le compte à rebours a commencé !
Végétal 3.0
Impossible de ne pas parler du végétal dans une lettre sur les tendances de l’hospitalité et en même temps, difficile de le faire car ce n’est plus ni un pic ni un roc mais bien une péninsule.
En effet, l’importance de plus en plus grande accordée au végétal n’est pas simplement une tendance éphémère mais bien un mouvement de transformation durable de nos façons de consommer, tant chez soi qu’à l’extérieur.
Pour ne pas faire une revue, fastidieuse et forcément incomplète, de ce mouvement, voici plutôt un aperçu des étapes-clés et des enjeux associés, quasiment sous forme de thèse, antithèse, synthèse.
Végétal 1.0
Ou plutôt 00.
Historiquement, la cuisine gastronomique s’est construite autour de la protéine animale. La viande ou le poisson représentaient la pièce maîtresse et les légumes n’étaient là que dans un rôle de figurant. Ce qui faisait le prestige d’un restaurant, ou la réputation d’un chef cuisinier, était la maitrise de la cuisson de la viande ou du poisson. Comme l’a théorisé Brillat-Savarin : « On devient cuisinier mais on naît rôtisseur ». La maîtrise de la cuisson de la viande ou d’un poisson est donc considérée comme un don et fait des gens qui la maîtrisent des êtres à part.
Après la seconde Guerre mondiale, dans une période de croissance de la société de consommation, la cuisine ménagère s’est elle aussi essentiellement centrée sur la viande (alors qu’historiquement elle était plutôt basée sur les féculents et les légumineuses). « Du bœuf et des patates » représentaient le graal, là où les légumes avaient souvent une dimension ennuyeuse, fade et de régime.
Comme le mentionne Michel Bras, un des premiers chefs à vraiment avoir travaillé le végétal et notamment créateur du Gargouillou (un plat de cueillette) en 1980 :
« A l’époque, on nous prenait pour des fous. »
De même, lorsqu’en 2001, Alain Passard, un autre avant-gardiste du végétal, a supprimé la viande rouge de l’Arpège, la clientèle a déserté, faisant chuter le chiffre d’affaires de plus de 30%.
Bref la cuisine était (in)carnée ou n’était pas.
Végétal 2.0
Plusieurs facteurs ont progressivement contribué à partir des années 2010 à la prise de conscience de la nécessité d’une alimentation plus végétale.
L’évolution démographique tout d’abord : l’ONU prévoit une population mondiale qui devrait atteindre 8,6 milliards de personnes en 2030, 9,8 milliards en 2050 et 11,2 milliards en 2100. A ce rythme-là, il sera de plus en plus difficile de subvenir aux besoins en protéines animales de l’ensemble de la population
La conscience environnementale ensuite. L’élevage serait responsable d’environ 15% des émissions de gaz à effet de serre et nécessite une forte consommation d’eau
Les recommandations des autorités de santé enfin. Ces dernières insistent sur l’importance, entre autres, de limiter la consommation de viande (hors volailles) et de charcuterie qui serait à l’origine de certaines maladies
Petit à petit, comme l’explique Eric Birlouez, sociologue de l’alimentation et de l’agriculture :
« Le végétal apparait comme apaisant et réconfortant. » (là où il était vu avant comme fade et restrictif).
Les consommateurs, pour amorcer ce changement, achètent de plus en plus de produits simili-carnés (steaks, nuggets, aiguillettes) souvent à base de pois ou de soja. Une manière de changer ses habitudes de consommation sans changer ses habitudes de cuisine.
On crée alors la viande de synthèse, Beyond Meat en tête, suivi de près par Impossible food. C’est la montée en puissance de ces entreprises qui fabriquent de la viande à partir de cellules musculaires développées en laboratoire et qui imitent la viande tant dans sa mâche que dans son goût.
Avoir goûté une viande de synthèse devient alors le nouvel objectif des foodies et donne l’impression d’être au top de la tendance, voire même en avance sur son temps.
L’hospitalité commence aussi à s’intéresser au sujet, à tous les niveaux de la restauration, du restaurant rapide et grand public au restaurant gastronomique. Ainsi, KFC et Pizza Hut proposent (aux Etats-Unis) des éditions limitées à partir de viande de synthèse. En France, Buffalo Grill lance en 2019 une version végétarienne de son hamburger, en s’appuyant sur les produits Beyond Meat. Du côté des étoilés aussi les choses bougent, et Dominique Crenn (première femme chef triplement étoilée aux Etats-Unis) a proposé à partir de 2021 dans ses restaurants du poulet de synthèse de la marque Upside Foods.
Bref, la voie semble toute tracée, l’avenir est non pas dans le pré mais dans les laboratoires.
Sauf que … La viande artificielle est de plus en plus remise en cause (notamment par une étude parue dans le New Scientist et relayée par Courrier International) car elle ne serait pas aussi bénéfique que ça pour l’environnement (notamment avec une empreinte carbone supérieure à celle de l’élevage classique). Additionnellement à cela, les ventes de viande de synthèse peinent à décoller, entraînant la forte baisse de l’action de Beyond Meat. Il devient clairement nécessaire de chercher un autre équilibre.
Végétal 3.0
Les aspirations des consommateurs évoluent progressivement. Au-delà de la prise de conscience de la nécessité d’une alimentation plus végétale, ils souhaitent aussi une alimentation plus “brute” et naturelle (réduire sa consommation de viande oui, mais pas pour manger des aliments végétariens ultra transformés). A l’heure actuelle, 46% des Français souhaitent trouver une offre végétarienne en restaurant. On parle ici non pas d’une banale salade ou d’un accompagnement de légumes servi en plat principal mais bien d’un véritable plat cuisiné végétal. Comme l’explique Estérelle Payany à qui l’on doit l’Encyclopédie de la cuisine végétarienne :
« Cette cuisine n’est pas une cuisine de manque mais une cuisine de reconstruction du goût. Cela la rend techniquement plus compliquée car retirer la viande équivaut souvent à soustraire l’umami. » (une notion japonaise décrivant un goût que l’on pourrait qualifier de savoureux).
Dès lors, plusieurs défis se présentent :
Découvrir ou redécouvrir des aliments pouvant composer une assiette équilibrée et savoureuse sans viande (légumineuses, légumes oubliés, soja, super aliments tels que les algues)
Apprendre de nouvelles façons de cuisiner (c’est ici un enjeu majeur car les cursus traditionnels pour les cuisiniers ont peu évolué pour le moment et la cuisine végétale n’est souvent présentée que dans un module mineur)
Rendre accessible et acceptable cette nouvelle façon de cuisiner. Par la sémantique tout d’abord (parler de “végétal” et non de “vegan”, terme qui peut être perçu comme trop militant) et par l’influence ensuite (le chef Simon Auscher cartonne par exemple sur TikTok et se définit comme un cuisinier artistique et non pas végétarien).
Pour la consommation à domicile, les marques ont compris l’enjeu de proposer des préparations rapides, simples et surtout végétales. Ainsi, au-delà des marques spécialisées dans les produits bio (Bjorg, Sojasun, etc …) de nombreuses marques traditionnellement « charcutières » s’y sont mises (Fleury Michon, Herta ou même Le Gaulois). Les marques de légumes secs profitent aussi de leur légitimité sur le secteur pour proposer des plats à base de légumineuses avec des temps de cuisson raccourcis (un des gros freins à la consommation des légumineuses est souvent leur temps de trempage/cuisson). Aux Etats-Unis, on peut mentionner la marque Lentiful, qui propose des plats/cups instantanés à base de lentilles. Autre initiative intéressante : la démarche flexitarienne des saucisses de la marque Bluff, qui propose bien des saucisses mais en réduisant de moitié la quantité de viande et en complétant avec des légumes et légumineuses.
Chez les chefs étoilés, les très fortes réticences que mentionnait Michel Bras à la fin des années 90 se sont envolées ; la cuisine végétale devient désormais un exercice de style que beaucoup de chefs veulent maîtriser. Le Michelin a ainsi créé sur son site une catégorie « cuisine végétarienne » pour répondre à une attente client de plus en plus forte sur ce type de cuisine. Dans les ouvertures récentes portées par des chefs médiatiques (et dont on connait le pouvoir d’influence sur le secteur), on peut citer :
Sapid d’Alain Ducasse, ouvert en 2021, qui propose une cuisine quasiment entièrement végétalienne
Camélia de Thierry Marx, qui a décidé en 2022 de repositionner le restaurant avec une offre à 80% végétal
Golden Poppy de Dominique Crenn en 2023. Son tout premier restaurant en France dont la carte se compose uniquement de végétaux et de produits issus de la pêche durable
Feuille de David Toutain également en 2023. Le tout premier restaurant du chef à l’étranger (Hong-Kong) qui propose une carte entièrement construite sur le végétal.
Nous avions déjà parlé aussi ici de l’ouverture de Faubourg Daimant à Paris cette année, qui révolutionne le genre et propose une approche bourgeoise de la cuisine végétale.
Les chefs pâtissiers ne sont évidemment pas en reste et suivent le pas de cette nouvelle naturalité. L’enjeu pour eux ne porte pas tant – faut-il le préciser ?- sur la viande que sur l’emploi des nouveaux ingrédients tels que boissons végétales ou substituts à l’œuf qui, forcément, ont un impact sur la structure et sur le goût des pâtisseries. Pierre Hermé a été le premier chef de renom à s’essayer à l’exercice en créant, dès 2020, deux pâtisseries vegan et sans gluten pour la Maison du Chocolat. Il a d’ailleurs sorti un livre consacré au sujet en ce début novembre. L’influent magazine Guardian consacrait quant à lui il y a un an un article entier à la végétalisation de la pâtisserie, intitulé « The French croissants are moving on, the vegan chefs reinventing French pâtisserie ».
Comme tout changement structurel, les prémices ont été hésitantes, longues et difficiles mais on voit désormais que le mouvement est enclenché à tous les niveaux des moments de consommation.
Prochain défi de cette transition alimentaire à court terme : arriver à passer les fêtes de Noël traditionnellement (et culturellement) marquées par une opulence des plats riches et carnés (foie gras, dinde farcie, boudin, etc.) à une version plus végétale.
Après le fameux « Sans alcool, la fête est plus folle », l’heure est venue du « Sans viande, la fin d’année est plus gourmande » ?
Lu, vu, entendu
Pour poursuivre sur une touche sucrée, un article intéressant paru dans Eater en octobre dernier intitulé How Restaurant Dessert Menus Shaped Our Sweet Tooth? qui retrace les grandes tendances des desserts depuis le début des années 2000.
Avec, certes, un prisme américain, les journalistes reviennent sur près de vingt ans de it-desserts : des desserts composés comme une toile de peinture (la tarte au citron de Massimo Bottura) aux desserts en trompe-l’œil (les fruits de Cédric Grolet), en passant par les milkshakes à étages multiples popularisés grâce à Instagram (et qui ont rendu socialement acceptables les associations de parfums les plus improbables) ou par les kakigoris -une glace spectaculaire venue de Corée.
Il détaille aussi un peu plus ce qui émerge comme la tendance forte actuellement : les desserts sucré/salé.
Au-delà d’ajouter une pointe de fleur de sel - ce que font les pâtissiers depuis un certain temps déjà – il s’agit ici de travailler et d’intégrer des légumes dans des desserts. Dans un souci de réduire la consommation de sucre, apparaissent donc à côté des traditionnels desserts ménagers tels que carrot cake ou pumpkin pie, des créations plus sophistiquées : crème brûlée aux topinambours, accord chocolat et champignon (Regis Marcon avait travaillé dès 2017 avec Weiss pour proposer un chocolat aux notes de sous-bois intégrant des éclats de cèpes), millefeuille d’aubergines caramélisées ou le dessert « Corn » de la it-pâtisserie du moment à New-York : Lysée.
Une bonne manière, dans tous les sens du terme, de couper la poire en deux !