Tout nouveau tout show
C’était une ouverture très attendue à Paris et une aventure avec de multiples rebondissements. Faubourg Daimant, mené par le collectif « Daimant Collective », a ouvert mi-août et se présente comme un « Fine Dining végétal ». Dans la tendance actuelle d’une alimentation moins carnée mais tout aussi savoureuse, Faubourg Daimant place la barre très haut en réussissant la prouesse de proposer une carte totalement plant-based mais reprenant tous les codes de la grande cuisine française.
Au menu ? Des sauces travaillées dans la tradition saucière française (que Yannick Alléno avait déjà réinterprétée à sa manière), des « croquettes cochonnes » totalement végétales ou des petits farcis de légumes.
Ajoutez à cela une décoration inspirée des années 1900 qui confère une atmosphère bourgeoise et hors du temps, vous obtenez tous les ingrédients pour faire de Faubourg Daimant un des grands succès de l’année (et on leur souhaite des années à venir !).
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Que vous ayez passé vos vacances en France, en Europe ou tout du moins dans un pays avec une culture plutôt occidentale, vous avez peut-être remarqué la présence d’un LOMNI – à savoir Lieu Où Manger Non Identifié.
Un lieu en général plutôt vaste, où l’on peut à la fois faire ses courses et manger et qui se présente de plus en plus comme un nouveau type de lieu de restauration/convivialité à savoir les halles gourmandes.
Food court ? Food market ? Food hall ? Halles gourmandes ?
Avant de rentrer plus en détail dans le décryptage du phénomène, un point sémantique pour bien comprendre les différences entre des notions qui peuvent sembler proches.
Le food court est un concept qui a vu le jour aux Etats-Unis, il y a une trentaine d’années. Souvent situé dans les centres commerciaux, il regroupe différentes enseignes de restauration rapide. Son image a souffert au fil du temps car le food court est associé à une piètre qualité. Il est plus fonctionnel (un repas sur le pouce) qu’expérientiel. La très grande majorité des centres commerciaux propose ce type d’espace où l’on retrouve les géants de la restauration rapide.
Le food market est un peu la version 3.0 du food court. Même principe d’un lieu avec différentes enseignes de restauration et un espace central où manger, mais avec une grande attention au cadre et à la qualité des mets. Le food market est un endroit où l’on vient volontairement pour bien manger et passer un bon moment à la différence du food court qui est là plutôt en dépannage. Dans les food courts connus, on peut notamment citer Ground Control à Paris ou le concept des Time Out Market (à Chicago, Lisbonne ou Dubaï).
Enfin, le food hall et les halles gourmandes désignent un même concept hybride où l’on peut à la fois faire ses courses, manger, boire un café ou prendre un verre entre amis. A la différence des halles traditionnelles, elles proposent des plages horaires élargies et de vrais espaces dédiés à la restauration. Les magasins Eataly, avec leur premier établissement en 2007, sont un des précurseurs de ce type de lieu qui devient un incontournable des grandes villes pour se restaurer et passer un bon moment.
Analyse sociologique
Au-delà d’un énième lieu tendance, les halles gourmandes marquent une transformation profonde de la typologie des espaces urbains et de nos habitudes de consommation.
En effet, si l’on revient un peu en arrière, les années 80 amorcent le début de la désertification des centres villes : c’est le règne des hypermarchés – ces lieux magiques où l’on peut tout trouver et qui poussent à la consommation. Les halles de ville sont considérées comme désuètes et – à l’instar des autres magasins de centre-ville - souffrent de ces grands centres commerciaux où les gens vont le week-end comme un rituel pour faire des courses / du shopping /aller au ciné /manger (dans un food court si vous avez bien suivi !).
Les halles gourmandes, situées quasiment systématiquement au cœur des villes, redynamisent les centres villes et répondent désormais à deux changements majeurs dans nos habitudes de consommation : l’attention aux produits et l’expérience sociale. Les halles gourmandes en tant que concept hybride (faire ses courses + convivialité) répondent totalement à ces nouvelles aspirations.
Tout d’abord, l’attention aux produits. En effet, la clientèle de ces nouvelles halles gourmandes est une clientèle urbaine, plutôt aisée et cosmopolite, qui accorde de l’attention à la qualité et au sourcing des produits, les halles offrant plus de produits de l’agriculture locale que les chaînes de supermarché, et à l’originalité de l’offre. Faire ses courses aux halles n’est pas vu comme une corvée mais comme un moment de plaisir où l’on va dénicher de bonnes choses, des produits avec une histoire locale et de petites pépites à cuisiner (avec bien évidemment le prix qui va avec …).
L’expérience sociale ensuite. Sans surprise, cette deuxième aspiration a été très fortement accélérée par la crise du Covid. En effet, dans ces halles « lieux de vie », on retrouve la notion de lien social que le marché a toujours véhiculée et que Zola a notamment très bien décrite dans Le Ventre de Paris. Les halles gourmandes constituent de nouveaux repères urbains où les gens peuvent se retrouver à tout moment de la journée pour manger, échanger, partager. La configuration des lieux (très souvent de grandes tables centrales où les gens / groupes s’assoient les uns à côté des autres en fonction de la place disponible) invite de facto à la convivialité et au partage. L’économie de partage est une notion de plus en plus structurante de nos sociétés actuelles et le moment du repas n’y échappe pas. A la différence d’un restaurant qui impose un certain cadre (type de cuisine, schéma entrée-plat-dessert), les halles gourmandes permettent à chacun d’exprimer son individualité tout en partageant un moment (voire des plats !) ensemble. Un des convives peut choisir un burger à la viande locale quand l’autre prendra un pokebowl et un troisième une planche apéro avec un verre de vin. C’est l’importance de la commensalité, du « être ensemble » après des mois de confinement et une époque où le numérique a beaucoup virtualisé le lien social.
On comprend ainsi que les halles gourmandes offrent une nouvelle proposition alimentaire (tant pour la consommation à domicile que pour la restauration hors domicile) ; les clients viennent y chercher ce qui semble être devenu la quête contemporaine du graal : une expérience.
On va où ?
Comme je le mentionnais plus haut, l’enseigne Eataly a vraiment été une des pionnières du concept et – grâce à son implantation mondiale – a aidé à la diffusion rapide de ces nouvelles halles gourmandes. Il serait difficile de mentionner tous ces nouveaux lieux mais un survol rapide montre que le phénomène est vraiment international.
En France, un des acteurs majeurs de ces nouvelles halles est le groupe Biltoki (« l’endroit qui rassemble » en basque) avec des implantations notamment à Anglet, Bordeaux, Saint-Etienne, Toulon ou Issy-les-Moulineaux. Dans la plus belle ville du monde (Dijon), les halles historiques construites sur des plans de Gustave Eiffel proposent des brunchs, le dimanche, conçus par des chefs étoilés pour quelque 10 000 convives. Plus au sud, les halles historiques de la Part-Dieu désormais rebaptisées Halles de Lyon Paul Bocuse ont aussi opéré leur mue et sont devenues un endroit incontournable de la gastronomie lyonnaise – tant pour faire ses courses que pour se restaurer.
On peut ainsi vivre l’expérience du food hall à Bruxelles, Londres, Copenhague, New-York, Melbourne ou Montréal.
Business modèle ?
Pour que le business model de ces nouvelles halles gourmandes soit pérenne, il faut bien évidemment qu’il soit intéressant pour tous. Ce n’est plus, dans ce cas un coup de billard à 3 bandes mais à 4 car il faut prendre en compte, de manière évidente, les intérêts du client et du commerçant, mais aussi ceux du bailleur et de la commune.
Dans les intérêts principaux pour chacune des parties prenantes, on peut citer notamment :
Pour la commune
Création d’un trafic qualifié au centre-ville
Fer de lance qui attire d’autres commerces pour redynamiser le centre-ville
Pour le bailleur
Double génération de chiffre d’affaires : par les loyers reversés par les commerçants et par les recettes des boissons (dans ce type de halles gourmandes, chaque commerçant vend à manger, mais les boissons sont centralisées dans un café géré par le bailleur)
Economies d’échelle car les halles agissent en pôle d’attraction qui génère un gros volume de clients avec un pouvoir d’achat élevé
Pour le commerçant
Investissement moins lourd qu’un fonds de commerce pour débuter ou tester un concept
Mutualisation des frais fixes avec les autres commerçants (service, nettoyage mais aussi marketing et publicité)
Amplitude des plages horaires qui permet de générer du chiffre d’affaires tout au long de la journée (sans les schémas de coupure habituels de la restauration)
Lien direct avec le client qui facilite les feedbacks (sur les plats, les formats, les nouvelles idées)
Un bémol toutefois dans ce modèle : l’exclusion des producteurs-vendeurs non sédentaires qui ne peuvent assurer une présence à temps plein et ne peuvent donc plus avoir de stands comme dans un marché classique
Pour le client
Offre polyvalente qui privilégie les concepts locaux et l’identité gastronomique régionale
Cuisine ouverte qui permet de voir les préparations et créer des échanges
Multiples styles de cuisine dans un seul lieu pour convenir à tous les goûts (ou composer un menu très hétéroclite !)
Prix plus abordables qu’un restaurant et format plus décontracté qui peuvent aider les jeunes générations à se familiariser avec la gastronomie
Par tous ces aspects, ce nouveau modèle d’établissement a de beaux jours devant lui. Et pour paraphraser Alexandre Dumas, « Halles for one and one for Halles!”.
Habillé de la tête aux pieds (de canapé)
Comme nous en parlions dans la toute première newsletter, les ponts entre fashion et art de vivre sont de plus en plus nombreux. Les marques – à tous les niveaux de prix – cherchent désormais à se positionner comme des marques lifestyle et pas uniquement de mode.
Dès 2021, Prada lançait sa ligne « Casa ». Fin 2022, Paul Smith a proposé ses premiers articles d’ameublement intérieur et Louis Vuitton a ouvert à Shanghai son tout premier magasin dédié à la maison et à la décoration. Le phénomène s’accélère, entre mai et août 2023, trois nouvelles marques positionnées plutôt premium que luxe ont annoncé elles aussi la création d’une collection dédiée aux intérieurs : American Vintage, Sézane (avec une ligne intitulée Les Composantes) et Make my Lemonade (avec sa collection The Lemonade home).
Il faut par contre veiller, en s’habillant, à ne pas faire tapisserie !
Merci Camille pour cette lecture passionnante. J’aime beaucoup tes analyses pointues. Bonne semaine.