Croissant, suite et certainement pas fin
On a déjà longuement parlé, dans la dernière newsletter, de la tendance croissant. Nouvel élément sur le sujet à faire le buzz : une pâte à tartiner au croissant.
Imaginé par une boulangerie de Manchester, Pollen Bakery, ce produit s’arrache et devient tellement connu que même le Guardian a publié une recette pour en faire chez soi. Astucieusement nommé « Croissant Butter » (il faudra d’ailleurs que je vous parle dans une prochaine newsletter de l’engouement autour du beurre), certainement très gras et sucré (le nom ne trompe pas), il a au moins le mérite de permettre de recycler, ou plutôt d’upcycler les croissants invendus.
Littéralement : de quoi en faire des tartines !
Hot Stuff
Non cette newsletter ne va pas parler disco (même si vous avez maintenant la musique en tête pour la journée) mais piment.
Culturellement, la France n’a pas une tradition culinaire fondée sur l’utilisation des épices et du piquant. Si l’ail, l’oignon, l’échalote, le persil et la ciboulette sont bien présents dans le répertoire des recettes françaises, le clou de girofle, la muscade et – soyons fous – le piment d’Espelette représentaient le max en termes d’épices. On confond d’ailleurs bien souvent dans le langage commun les termes « épicé » et « pimenté ».
Les différentes vagues migratoires ont bien entendu amené une chaleur épicée qui a progressivement infusé les habitudes et les goûts mais on observe depuis quelques temps une véritable révolution de palais (au sens propre du terme !) : plus ça pique, plus c’est chic. Et on parle bien ici de piment, du plus doux, comme le paprika, au plus fort (le habanero) en passant par les plus originaux (le piment fantôme ou le piment chocolat). L’échelle de Scoville est quasiment devenue la nouvelle échelle sociale dont on grimpe les échelons comme un signe statutaire.
Deux chiffres pour illustrer l’ampleur du phénomène.
Le marché mondial des sauces piquantes, estimé à 5,2 milliards de dollars en 2024, devrait atteindre quasiment 8 milliards en 2033 (source Imarc Group)
Rien qu’en France, la demande a bondi de 48% en valeur depuis 2019 (source Circana)
Pourquoi on s’enflamme ?
Comme bien souvent, la tendance est d’abord culturelle avant d’être culinaire.
L’essor des cultures mexicaine (d’abord via les États-Unis) et coréenne (portée par la K-pop) a contribué à populariser leur gastronomie, comme je l’évoquais ici pour l’Amérique latine. Un point commun entre ces deux cuisines : le piment, qui s’impose donc progressivement comme un incontournable des habitudes culinaires occidentales et devient un véritable argument de vente.
Ajoutez une recherche accrue de sensorialité et d’expérience chez les consommateurs (on ne veut plus simplement manger un produit, on veut le vivre dans toutes ses dimensions), la rapidité de diffusion de la tendance via les réseaux sociaux, et vous comprendrez vite comment le piment est arrivé à point nommé pour enflammer nos papilles et nos vies.
Un concept d’émission comme Hot ones, décliné dans différents pays et avec des invités reconnus de tous domaines (Leila Behkti ou Xavier Niel pour la France, Jimmy Fallon ou Jennifer Lawrence aux US) a contribué aussi à populariser la sauce piquante auprès de l’ensemble des publics et pas uniquement de la Gen Z.
Comme le résume Lyons Watt du bureau d’études Circana :
“My whole motto for a couple of years has been, ‘The hotter the better,’ because consumers gravitate to it. Traditionally it was younger consumers that were driving this but now we’ve seen bold flavors being embraced by most age groups” [Mon credo depuis quelques années est : 'Plus c'est piquant, mieux c'est', car les consommateurs sont attirés par ça. Traditionnellement, ce sont les jeunes consommateurs qui poussaient cette tendance, mais nous avons constaté que les saveurs intenses sont désormais adoptées par la plupart des tranches d'âge].
Envoyez la sauce
Quand on pense au piquant, la première chose qui vient en tête – et le fer de lance de la tendance – est bien entendu les sauces piquantes. Les deux plus connues (et plus industrielles) sont bien entendu le Tabasco et la sauce Sriracha.
Mais face à cette nouvelle appétence des consommateurs, la sauce piquante devient trendy et adopte donc les codes de cette tendance de « luxury pantry » (où les produits d’épicerie deviennent des marqueurs d’un certain statut lifestyle) à savoir :
Ingrédients sourcés et composition clean
Packaging ultra-léché
Noms avec toutes les extravagances/jeux de mots possibles
On peut ici faire un parallèle avec l’essor des brasseries urbaines il y a quelques années qui cherchaient à se démarquer dans un environnement toujours plus concurrentiel par leur goût, leur nom ou le design de leur étiquette.
Parmi ces nouvelles hot sauces, on peut mentionner notamment en France :
Maison Martin, qui cultive ses propres piments en France
Matshi, des sauces produites à Paris et mêlant piment Habanero et fruits fermentés
Maempi qui propose un produit hybride entre tartinable et sauce pour divers usages
Fuchs, avec un original piment en spray pour rehausser les plats sans craindre d’avoir la main trop lourde
Signe du caractère mainstream de cette tendance : même la vénérable Maison de la Truffe propose un coffre avec une sauce piquante à la truffe d’été.
Enfin, preuve s’il en fallait encore une que la hot sauce devient un symbole statutaire : les stars et les chefs s’y mettent.
Au rayon VIP, on peut notamment mentionner les sauces piquantes lancées par Brooklyn Beckham (Cloud 23) et Ed Sheeran (en collaboration avec Tingly Ted’s). Chez les Chefs, bien évidement David Chang avec sa marque Momofuku est un poids lourd du domaine (avec néanmoins quelques polémiques sur le sujet) mais on peut aussi mentionner en France, Chloé Charles avec Maison Martin.
Une autre catégorie salée qui a fortement contribué à démocratiser le piment est celle des snacks. En effet les consommateurs sont plus enclins à oser de nouvelles saveurs et du piquant sur de petites portions de grignotage que sur un plat complet. Fortement influencés encore une fois par les saveurs asiatiques et latines, on trouve ainsi des noix au chili oil, du popcorn au chili, des crunchs au sweet sichuan ou des snacks au peri peri.
Think swice
Un step plus loin dans cette découverte du piquant, le swicy est LA saveur qui explose en ce moment et se retrouve partout des marques les plus mainstream à celles plus pointues.
En effet, le swicy (combinaison des mots sweet et spicy) a l’avantage d’offrir un doux compromis : il permet à tous de s’aventurer dans cette tendance du piment fort en offrant simultanément des notes douces et sucrées qui permettent de tenir le choc (et le feu !).
Mais si cette nouvelle saveur plait tellement – tant aux marques qu’aux clients – c’est parce qu’elle est très addictive. Pourquoi ? Attention, c’est la minute neuroscience de cette newsletter. En effet, la réaction liée au contraste entre le piquant du piment et la douceur du sucre provoque une libération d’endorphines en activant les zones du cerveau impliquées dans le circuit de récompense (qui réagit à la combinaison de la douleur induite par le piment et de la douceur du sucre). Bref, plus vous mangez de swicy, plus vous êtres accro au swicy.
Le Hot Honey (miel piquant) de la marque Mike’s Hot Honey a popularisé largement cette tendance aux USA (et donc, par effet de diffusion, au reste du monde). Depuis, cette combinaison sucré/piquant se retrouve déclinée de multiples façons : en glace (crèmes glacées au piment), en chocolat (la chaîne Waitrose a commercialisé pour Pâques un œuf au chocolat noir avec un cœur piment/caramel), en cheesecake au habanero (le lacté comme dans la glace apaise le feu) ou en pâte sucrée (la recette n°2 de Maempi est un mélange de piment et de vanille).
Cold drinks but hot
Enfin, prenez la grande tendance actuelle des boissons (à tel point que l’on parle parfois de gastronomie liquide), mélangez-la avec la tendance du piment … et vous obtiendrez un phénomène qui enflamme les papilles !
Si, depuis quelques temps maintenant, on observe une vraie extension de la catégorie boissons avec les boissons fonctionnelles, les RTD (cocktails prêts à boire en cannette) ou l’essor de la mixologie, l’arrivée du piquant dans ce domaine est plutôt récente et se décline de différentes façons.
Dans les alcools forts : avec par exemple une Tequila infusée au piment Serrano ou la vodka Smirnoff au tamarin épicé
Dans les sodas, avec l’introduction par Coca-Cola dans sa gamme permanente du « Spiced coca-cola »
Dans les bières artisanales, avec notamment celle au doux nom de Death, une stout brassée avec des piments fantômes (qui n’ont de fantôme que le nom !) ou la Habanero Sculpin, avec les piments éponymes
Dans les boissons fonctionnelles enfin. En effet, le piment, en plus d’être « sensationnel », peut avoir certains effets sur la santé (à relativiser en fonction de l’équilibre de vie et de la quantité de piment – non une goutte de tabasco ne peut rien contre une assiette de nachos au cheddar !) grâce à sa capsaïcine qui stimule le métabolisme, à ses anti-oxydants et à son effet anti-fatigue. On peut notamment mentionner « Erebos herbal energy spicy » et « Echelon V4 Watermelon Thai Chili » pour le côté énergie ou la « Cure immunité » de Paf à base de pamplemousse gingembre et piment pour le côté santé.
Vous l’aurez compris, que vous soyez un Indiana Jones en quête de sensations fortes, une Spice girl aguerrie (pardon mais c’était trop tentant 😊) ou un jeune padawan qui ose à peine effleurer du bout de son doigt la sauce piquante, vous pouvez désormais trouver piment à votre pied pour surfer sur cette tendance explosive. Pour finir, et pour pimenter votre curiosité, sachez qu’il existe au Japon un piment appelé Shishito connu pour son côté imprévisible. En effet, un piment seulement sur 10 à 20 est piquant alors que les autres sont doux. Oubliez la roulette russe, la roulette nippone est beaucoup plus tendance !
Lu, vu, entendu
Un article intéressant paru sur le site Fashion Network qui analyse un phénomène de plus en plus présent et dont nous avions déjà parlé ici : les liens entre mode et hôtellerie.
Si, il y a quelques années, les liens entre ces deux domaines se résumaient à Coco Chanel qui occupait une suite au Ritz, ils sont devenus désormais un très fort enjeu business pour l’industrie de la mode.
En effet, ces collaborations marque de mode/marque hôtellière permettent notamment
De toucher une clientèle aisée : le marché de Noël organisé par le Crillon permet ainsi de mettre en lumière des marques françaises auprès d’une clientèle ciblée
De diversifier les canaux de vente : les hôtels se transforment en espaces de vie pour offrir aux clients une expérience plus complète et lifestyle que celle en boutique (on note d’ailleurs un vrai boom des boutiques-hôtels) avec notamment le pop-up « Dioriviera » à The Beverly Hills Hotels
De créer la rareté via des produits exclusifs : par exemple la ligne de vêtements co-créée par le Bristol Paris et Sporty&Rich ou l’annonce de la quatrième collaboration entre Frame et le Ritz
La mode est dans de beaux draps !
Quand je pense à comment je mangeais quand j’étais enfant et à ce que je mange maintenant, c’est le jour et la nuit, notamment grâce aux piments et aux épices qui sont entrés dans ma vide. Merci pour ce beau sujet.