Green Day(s)
Les initiatives pour répondre aux enjeux de développement durable se multiplient à tous les niveaux de la culture food et hospitalité avec deux initiatives récentes.
Pour l’hospitalité tout d’abord, avec l’annonce en septembre de la création de l’HARP (Hospitality Alliance for Responsible Procurement), une organisation dédiée à l’amélioration des pratiques responsables et durables dans l’hôtellerie. Il ne s’agit pas là d’une énième initiative de green washing mais d’un consortium qui va peser lourd intégrant – dès sa création – les géants de l’hôtellerie à savoir : Accor, Hilton, IHG Hotels & Resorts, Marriott International et Radisson Hotel Group. L’objectif de cette entité est notamment d’échanger sur les bonnes pratiques, de valoriser les sous-traitants répondant à une démarche durable, d’améliorer la supply chain de manière plus globale et d’apprendre à mieux sensibiliser les équipes sur le sujet. L’HARP sera ouverte dès l’année prochaine, sur critères, à d’autres groupes hôteliers afin de générer une dynamique de transformation globale.
De manière beaucoup plus quotidienne ensuite, avec les pâtes. En effet, conscients de l’impact des packagings et surtout des volumes « vides » sur l’empreinte carbone, des chercheurs ont mis au point des « morphing pastas ». Pour ce faire, ils se sont inspirés des meubles livrés dans des paquets plats et qui prennent leur forme ensuite. Les pâtes sont ainsi conditionnées complètement aplaties et reprennent, une fois plongées dans l’eau et grâce à des savants calculs de découpe et de torsion, la forme voulue : tagliatelle, farfalle ou macaroni (pour cette forme en particulier, les packagings sont remplis normalement à plus de 60% de vide).
Paris Latino
Il y a quelque temps, quand on évoquait la cuisine d’Amérique latine, les paquets jaunes de la marque Old El Paso étaient la première image qui venait en tête. Cliché, reconnaissons-le, plus que restrictif de la cuisine d’un continent.
Cependant, ces dernières années, la culture culinaire d’Amérique latine est en plein essor au niveau mondial, tant d’un point de vue grand public que gastronomique. Preuve s’il en est de cette montée en puissance, dans une étude réalisée en avril 2022 sur les 32 mots liés à la food les plus viraux sur les réseaux sociaux, le mot « birria tacos » arrivait en 5ème position.
Avant de rentrer plus en détail sur le pourquoi du comment, quelques éléments de cadrage sur la notion de cuisine latino-américaine.
L’Amérique Latine c’est grand (ne me remerciez pas !). Une vingtaine de pays et quasiment 670 millions d’habitants donc, forcément, une variété culinaire à la taille d’un continent ;
On retrouve néanmoins certains marqueurs communs : le maïs, les haricots (rouges ou noirs), les pommes de terre, les tomates, les viandes et poissons grillés à la braise (asado) et surtout une place primordiale donnée aux épices et aux piments ;
Toutes les cuisines d’Amérique latine ne sont pas au même niveau d’influence à l’échelle mondiale. La cuisine mexicaine est la plus diffusée suivie ensuite de près par les cuisines jamaïcaine et péruvienne alors que les brésilienne et argentine ne sont qu’aux prémices de leur rayonnement international.
Acte 1 : Les raisons du succès
Raison n°1 : une cuisine sociale (media)
La cuisine d’Amérique latine, par ses ingrédients, est une cuisine colorée ce qui rend les plats instagrammables. Poster une photo de ceviche, de tacos, d’açaï bowl ou de tortilla rend, il faut le reconnaitre, bien mieux que de poster une photo de bœuf bourguignon ou d’endives à la béchamel. Par ailleurs, elle a une dimension festive et de partage qui la rend très conviviale. Quand on connait l’importance de la photogénie et du partage sur les réseaux sociaux on se rend vite compte que l’on a ici les clés pour en faire une tendance virale à l’échelle mondiale.
Raison n°2 : une cuisine dans l’air du temps
A l’heure où le « healthy » est devenu un élément à part entière de nos modes de consommation et où les divers régimes « sans » se multiplient, la cuisine d’Amérique latine coche toutes les cases. Par ses ceviche ou ses super-ingrédients tels que l’açaï ou les graines de chia, elle satisfait celles et ceux qui cherchent une cuisine saine et savoureuse. Par ses viandes grillées, ses tacos ou son dulce de leche, elle parle aux amateurs de comfort food. Par ses préparations à base de maïs ou de haricots, elle séduit les « sans gluten ». Une cuisine plurielle pour des consommateurs pluriels.
Raison n° 3 : une démarche de soft power
On le sait, le rayonnement d’un pays au niveau mondial passe aussi par le rayonnement de sa culture dans tous les sens du terme. Il s’agit de ce qu’on appelle le soft power. Première étape clé de cette démarche politique, l’inscription en 2010 de la gastronomie traditionnelle mexicaine au patrimoine immatériel de l’Unesco, rejoignant ainsi notamment la diète méditerranéenne ou le repas gastronomique des Français. Deuxième étape, le rayonnement récent du Pérou sur la scène gastronomique mondiale (nous y reviendrons un peu plus tard). Dans une démarche de saine émulation (ou d’intense concurrence ?), le Mexique a décidé de réagir en créant un programme dédié à la cuisine au sein de son ministère de la culture pour mettre en avant son patrimoine culinaire et, surtout, « savoir vendre ses plats ». Comme l’explique le chef Mauricio Avila Serratos, en charge de ce programme :
« La cuisine mexicaine n’a pas besoin de se réinventer. Elle a besoin de se faire connaître, d’être d’avantage pratiquée et diffusée ».
Acte 2 : les expressions / incarnations de ce succès
L’essor de la culture culinaire d’Amérique latine passe à la fois par un effet de masse (se diffuser dans les repas du quotidien d’un grand nombre de gens dans de nombreux pays) et par un effet de renommée (acquérir une reconnaissance internationale pour la qualité de sa cuisine).
Expression n°1 : Spice up the world
Les épices ont été un des vecteurs de la montée en puissance de l’Amérique latine. En effet, si les précédentes générations étaient assez peu aventureuses dans leurs assaisonnements, les millenials et encore plus les gen Z sont amateurs d’évasion par les papilles. Les industriels ont ainsi identifié ici une piste lucrative pour « pimenter » leur offre produits. On retrouve donc de nombreux produits de grande consommation déclinés dans une version plus latine : les Cheetos ont désormais une variante au maïs, Aurora - une marque tendance de boissons sans alcool - a sorti une édition limitée « Spicy Cayenne », Bonduelle propose des mini-croustis « Mexican » et Boehli – dont l’ADN alsacien est indiscutable – a sorti une variante de bretzels saveur mexicaine (aussi hérétique que la pizza au saumon fumé diraient certains !).
La street-food représente l’autre grand vecteur de la diffusion en masse de la culture culinaire d’Amérique latine. Le modèle traditionnel des « taqueria » s’est diffusé et les chaines de tacos ou burritos telles Chipotle ou Fresh burrito ont détrôné les restaurants de kebab au rang de référence street-food pour les nouvelles générations. A noter aussi, l’OVNI - tant business que culinaire - que constitue la chaîne O’Tacos. Française de A à Z (elle a été fondée à Grenoble !), elle a su s’approprier tous les codes de la culture latine et inventer un nouveau genre qui s’exporte désormais à l’international sous le nom de « French tacos ».
Expression n°2 : Sommets de la cordillère et sommets culinaires
En 2013, Rene Redzepi et Jordi Roca, dont la renommée culinaire n’est plus à faire, mentionnaient dans le magazine anglais Restaurant que « ce n’était qu’une question de temps » pour que la cuisine d’Amérique latine soit au firmament de la cuisine mondiale. Clairement, encore une preuve s’il en fallait que ces chefs sont des visionnaires.
En effet, en 2023, l’Amérique latine a réussi le grand chlem de la gastronomie lors des World 50 Best : Le Central Restaurante de Lima a reçu le titre très convoité de meilleur restaurant du monde et c’est une cheffe équatorienne, Pia Salazar, qui a été nommée Meilleur Chef Pâtissier de l’année.
Portée par des chefs réputés tels que Mauro Colagreco ou Enrique Olvera du restaurant Pujol au Mexique (Netflix lui avait consacré un épisode de sa série Chef’s table), la gastronomie latine a gagné ses lettres de noblesse et s’invite désormais dans la liste des restaurants tendance. On peut ainsi mentionner la présence de 17 chefs latinos dans les finalistes des James Beard awards (un des prix les plus en vue aux US), la cheffe brésilienne Manu Buffara qui signe la carte du restaurant Bleu Coupole au Printemps Haussmann depuis début octobre ou encore le chef Gaston Acurio qui signe la carte du Mandarin Oriental de Genève.
Preuve ultime, s’il en fallait, de la reconnaissance de l’Amérique latine sur la scène culinaire internationale : le guide Michelin va lancer sa première édition du Guide rouge en Argentine le 23 novembre prochain.
Expression n°3 : Latin Spirit(s)
Enfin, last but not least, les boissons latines (et de préférence avec une forte teneur en alcool) gagnent en popularité.
D’abord et avant tout, il faut parler de la tequila. Pour paraphraser Jacques Séguela « Si tu ne possèdes pas une marque de tequila quand tu es une star, tu as raté ta vie ». La vente par George Clooney en 2017 de sa marque de tequila Casamigos pour 1 milliard de dollars a visiblement suscité des vocations et on ne compte plus les stars qui lancent / rachètent une marque de tequila (Michael Jordan, Eva Longoria ou Kendall Jenner pour ne citer qu’eux), faisant passer cette dernière de la catégorie « gueule de bois garantie » à la catégorie « total hype ». En 2022, la tequila a ainsi détrôné la vodka au rang de spiritueux favoris des Américains.
Une autre boisson latine arrive de plus en plus sur le devant de la scène : le Mezcal. Ce qui n’était alors qu’une boisson traditionnelle qu’on dégustait sur place prend désormais une tout autre ampleur et devient à son tour populaire. La marque Mezcal Devocion est une des premières à avoir senti l’opportunité business en créant un Mezcal artisanal mais avec tous les codes d’une marque tendance. Dans la même dynamique, le groupe Baccardi a racheté en septembre 2023 la marque Ilegal Mezcal déjà reconnue par certains comme une marque à fort potentiel de croissance. Enfin, dans les restaurants branchés, les accords food-mezcal commencent à apparaître. On peut ainsi mentionner à Paris un food-pairing plus qu’original entre burger et mezcal chez Specimen Burger.
Si les footballeurs – toutes générations confondues – avaient déjà contribué à la renommée de l’Amérique latine à l’international, cette dernière s’installe désormais comme un acteur incontournable de la scène culinaire mondiale. En effet, alors que les boomers ou la gen X citaient spontanément la nourriture italienne comme leur cuisine favorite, les millenials sont la toute première génération à affirmer préférer la cuisine mexicaine à la transalpine et la gen Z confirme la tendance.
Pelé – en toute modestie – avait déclaré :
« Partout où vous allez, il y a trois icones connues partout dans le monde : Jésus-Christ, Pelé et Coca-Cola. »
Pour la gen Z, ce sera peut-être Jésus Christ, Coca-Cola et … les tacos !
Ne pas perdre une miette
Pour finir sur une note qui peut sembler à première vue tout à fait futile (et pour les amateurs qui commencent à préparer leur liste de Noël !), que diriez-vous d’une lampe en forme de pain ?
Ces lampes sont une nouvelle création de la marque américaine Dauphinette (mais avec un nom à consonnance française, on ne se refait pas !) connue pour ses créations mode tendance.
La collection est plutôt courte (des lampes en forme de baguette, de croissants, de petits pains au lait ou de tranche de pain de mie) mais surtout, accrochez-vous bien, elle répond à l’ADN de la marque en étant upcyclée. En effet, elle est élaborée à partir d’invendus de boulangerie qui auraient sinon été jetés et qui sont ensuite upcyclés (et traités !) au Japon.
Le rendu est plus qu’impressionnant et ajoute une pierre (ou une miette) de plus à la grande dynamique de l’upcycling que nous avions déjà détaillée ici.
Toujours passionnant ! Et belles illustrations !