French flair (& food), menu du 17 novembre 2025
L’art de (re)mettre la table
Pendant longtemps, les arts de la table ont traîné une image un peu désuète - quelque part entre la reine d’Angleterre et Nadine de Rothschild. On les associait à des repas très codifiés, empreints d’un certain formalisme et d’une froide élégance. Si l’on fait un timelapse de leur évolution, on peut distinguer trois grandes étapes marquant leur transformation au fil des siècles :
Etape 1 : il n’y en avait pas ! Au Moyen-Âge, on se servait d’une large tranche de pain pour poser les aliments et on mangeait avec les mains (sauf les potages où il y avait – quand même – une cuillère)
Etape 2 : à la Renaissance, les repas deviennent des moments de représentation sociale (à l’heure actuelle on dirait qu’ils deviennent « instagrammables ») et les arts de la table commencent à faire leur apparition : assiettes et fourchettes mais aussi nappes et plats décoratifs
Etape 3 : au 18ème et 19ème siècles, les arts de la table se développent et se codifient (façon de dresser la table, ordre des plats). C’est aussi à cette époque qu’apparaissent de grandes manufactures historiques que nous connaissons toujours comme la Manufacture de Sèvres ou Bernardaud.
Et aujourd’hui ? La table reste un marqueur de statut social mais l’image surannée qui collait à la peau de la vaisselle s’efface peu à peu, laissant place à un véritable regain d’intérêt pour les arts de la table. Cette redécouverte s’accompagne d’une approche plus contemporaine, à la fois dans les styles et dans les usages, aussi bien chez les professionnels de l’hospitalité que chez les particuliers. A ce titre l’exposition « Christofle, une brillante histoire » au Musée des Arts Décoratifs illustrait parfaitement l’évolution du regard sur les arts de la table au fil des siècles.
Ils passent donc de old school à cool et affirment plus que jamais une identité, un style et une différence.
Dans l’hospitalité
Deux courants existaient dans la vaisselle pour les professionnels : d’un côté les brasseries et bistrots avec une forte fréquentation qui privilégiaient de la vaisselle basique et robuste, de l’autres les restaurants étoilés qui, eux, déployaient une ribambelle d’assiettes et plats en tout genre mais quasiment toujours de couleur blanche (le focus du client devait être uniquement sur la création du chef). En synthèse : quasiment toujours blanc, l’épaisseur de la faïence ou de la porcelaine inversement proportionnelle au prestige du restaurant.
Désormais, les restaurateurs changent de regard sur les arts de la table et ne les considèrent plus uniquement comme un objet purement utilitaire mais comme un acteur à part entière de l’expérience du restaurant en la rendant facilement reconnaissable et attribuable au lieu (à l’heure d’Instagram, il faut que visuellement, via une photo, on puisse savoir de quel lieu il s’agit). Il y a plusieurs années déjà le Royal Monceau avait compris la tendance naissante avec ses tasses exclusives signées Philippe Stark et reconnaissables entre 1000 sur les photos.
A ce titre, on peut observer deux mouvements principaux.
Naturalité
Dans le sillage d’une cuisine plus végétalisée, la vaisselle professionnelle suit, elle aussi, ce retour à l’essentiel. Les chefs privilégient désormais des matériaux qui évoquent la nature et l’authenticité : grès aux textures brutes, émaux mats, touches de bois ou d’ardoise. Les teintes se font plus douces, sable, beige, vert clair, comme un écho aux couleurs et aux paysages naturels. Cette tendance crée ainsi une véritable continuité entre l’assiette et la salle, renforçant l’harmonie entre le plat et la matière.
Comme le résume Mathieu Franck, responsable commercialisation et produit chez Lusini,
« la porcelaine blanche n’a plus vraiment le vent en poupe actuellement, même si elle reste incontournable dans certains grands établissements étoilés. Les couleurs foncées, y compris le noir, qui ont connu un temps un fort engouement ne sont plus, elles aussi, adaptées aux plats privilégiant les légumes qui s’y trouveraient invisibilisés. Les chefs vont choisir désormais en priorité des couleurs proches de la nature, les beiges, les sables ou les verts clairs qui mettent en valeur le plat et la recette. »
On retrouve cette dynamique de design biophilique, que nous avions déjà évoqué ici.
Ultra-personnalisation
Jusqu’à présent, on parlait d’une tendance générale : de la vaisselle sur catalogue à disposition de tous les types d’établissement. Mais s’il y a bien une lame de fond chez les restaurateurs, plutôt parmi les étoilés, c’est la création de vaisselle unique et sur mesure en collaboration avec des céramistes pour faire du contenant une véritable prolongation de leur univers culinaire. Chaque assiette, chaque bol, chaque texture raconte une histoire et met en scène la création qu’elle accueille. Cette vaisselle ultra personnalisée ne se contente plus de servir : elle prolonge l’histoire des plats, éveille les sens et renforce l’expérience gastronomique, du regard jusqu’à la dernière bouchée.
A ce titre, on peut notamment citer :
Le cookpot d’Alain Ducasse, conçu avec la Maison Mauviel et le designer Pierre Tachon, un des tous premiers à avoir développé un récipient capable de sublimer la cuisine du végétal
Anne-Sophie Pic, qui a collaboré avec Jars pour créer une assiette sur-mesure pour ses berlingots (Jars travaille d’ailleurs désormais avec de nombreux chefs sur des créations sur mesure, de Emmanuel Renaut à Arnaud Donckele en passant par Régis Marcon)
L’assiette à pain de Christophe Aribert, qui reprend exactement les dimensions de ses baguettes miniatures
La collaboration entre Bernardaud et Pierre Hermé à l’occasion de l’ouverture de son salon de thé sur les Champs Elysées pour développer une vaisselle qui épouse parfaitement les formes de ses pâtisseries (ils avaient d’ailleurs déjà collaboré il y a plus de 15 ans autour d’un plat sur mesure pour accueillir le dessert « Infiniment pamplemousse, wasabi, rose à partager »)
Cette tendance n’est bien évidemment pas que franco-française, à l’international, sans les citer tous, on peut néanmoins mentionner Simon Rogan, chef anglais triplement étoilé et pionnier de la cuisine végétale, qui propose à la vente sur son site la vaisselle qu’il a lui-même développée.
Chez les particuliers
Autrefois, chez les particuliers, le service de table était offert lors du mariage et il accompagnait toute une vie. Aujourd’hui, les arts de la table se réinventent et deviennent un véritable terrain d’expression créative. Ils empruntent les codes et le vocabulaire de la mode (mix and match, statement pieces) pour refléter les styles et les envies du moment. Cette évolution s’inscrit dans une approche plus globale du lifestyle, où de nombreuses marques de mode développent désormais leurs propres lignes d’art de vivre, brouillant les frontières entre dressing et table.
Tableware is the new wear.
Nous l’avons en effet déjà évoqué à multiples reprises dans cette newsletter, de plus en plus de marques de mode se tournent vers l’hospitalité et les arts de la table pour, à la fois offrir à leurs clients une expérience globale dont ils sont demandeurs, mais aussi développer des relais de croissance avec des articles, certes souvent onéreux mais néanmoins plus accessibles qu’une pièce de haute couture.
On peut notamment mentionner Armani Casa, Gucci Décor, Hermès Maison, Tiffany, Louis Vuitton home, Ralph Lauren ou Dior Maison qui, chacune, décline le style maison dans une collection d’arts de la table afin d’offrir aux clients une autre manière d’affirmer leur style (et leur statut social soyons réalistes).
Comme le mentionne Olivier Bialobos, Directeur de la communication et de l’image de Christian Dior,
« Nous nous positionnons comme une marque couture des arts de la table et des arts décoratifs ».
Au-delà de cette dimension statutaire et expériencielle de marque, il est intéressant de voir comment les arts de la table traduisent aussi l’évolution de nos modes de vie, en écho à des tendances comme le nomadisme, la convivialité ou encore la montée du végétal dans nos assiettes.
Dans ces nouveaux objets, on peut notamment citer
Tendance nomadisme : les bento-box, les couverts nomades (le binikit de Bini) ou le mug nomade (Bernardaud vient même de lancer le sien en porcelaine)
Tendance convivialité : les grands plats ou planches de partage à poser directement sur la table pour que chacun se serve (à la différence des plats de présentation classiques qui créent une certaine distance et où l’on attend d’être servis). La collection « Big Love » de Jamie Oliver est totalement dans cette dynamique au même titre que la collection « Feast » de mon chouchou absolu Ottolenghi développée avec Serax
Tendance végétale : comme nous l’avons déjà évoqué pour les chefs, les tons minéraux, les grès émaillés ou les coupes et bols nature sont particulièrement recherchés en ce moment
Dernière preuve s’il en fallait une que les arts de la table sont un secteur porteur. Le fond d’investissement French Food Capital , reconnu pour sa capacité à faire grandir des pépites de l’alimentaire français, a annoncé le mois dernier prendre une participation majoritaire dans la société « Sabre Paris », maison d’arts de la table notamment appréciée pour ses couverts colorés.
Les arts de la table ont décidément bon appétit.
Le Diable habite en Prada 2
La suite du film est en tournage en ce moment ? Pas de problème, moi aussi je vous fais la suite de l’article !
Le concept des “branded residences” se porte en effet TRES bien avec à la fois de plus en plus de programmes immobiliers en cours de construction, mais aussi de plus en plus de marques qui rentrent dans la danse pour avoir elles aussi leur part du (gros) gâteau.
Dans les nouveaux entrants on peut notamment citer
Le groupe hôtelier IHG, via sa marque Intercontinental qui va installer sa première « Intercontinental Residences » à Bangkok en 2029
La griffe de mode Maison Margiela qui lance son premier projet résidentiel à Dubaï
Plus étonnant, la marque de média « Elle », a présenté son projet « ELLE Residences Dubai Islands » prévu pour 2027
Mariott, à nouveau un groupe hôtelier, à nouveau à Dubaï
Enfin, même les marques de F&B (Food&Beverage, i.e., l’ensemble des services alimentaires et de boissons offerts à la clientèle), plus timides sur le sujet, s’y mettent avec la marque Nobu qui prévoit de lancer pas moins de 20 résidences partout dans le monde sur les prochaines années ou la chaîne de restaurants Cipriani qui livrera sa première résidence à Miami en 2028.
Je ne sais pas s’il y aura « Le Diable s’habille en Prada 3 » mais je suis quasiment sûre qu’il y aura un troisième épisode à ce concept de branded residences !




Camille, merci pour ce sujet super intéressant comme toujours !