French flair (& food), menu du 21 mai 2024
Time to eat
Les marques de la haute couture et de la cosmétique sont déjà nombreuses à avoir investi le secteur de l’hospitalité pour offrir, non pas uniquement un produit de qualité, mais une expérience client mémorable. Nouvelles marques à mettre « les pieds dans le plat » : celles du secteur de l’horlogerie. En effet, lors de la grand-messe horlogère qui se tenait le mois dernier à Genève, Jaeger-LeCoultre a annoncé le lancement de l’ « Atelier de précision » développé en collaboration avec le chef indien Himanshu Saini (2 étoiles Michelin à Dubaï).
Cet atelier, qui fera étape dans différentes métropoles, proposera aux clients de découvrir en quatre bouchées des œuvres gourmandes dont la précision culinaire fait écho à celle du savoir-faire de Jaeger-LeCoultre. Précision de la fabrication (avec une bouchée à l’assemblage sophistiqué), précision de la transformation (avec un concept de pierre liquide à croquer), précision du goût (qui rend hommage aux saveurs de la Vallée de Joux, berceau du fabricant) et précision de la chronométrie pour finir (avec une bouchée sucrée au temps de trempage minuté).
Si la marque a déjà collaboré avec de nombreux artistes d’horizons variés, c’est seulement la deuxième fois qu’elle investit le domaine de la gastronomie (après une collaboration avec la cheffe pâtissière Nina Métayer en 2021) témoignant ainsi d’un intérêt croissant - et récent - pour le domaine.
Quand le garde-temps rencontre le garde-manger ...
I want to break(fast) free
Quand on parle de petit-déjeuner, deux images viennent en tête. Version rat des villes, avec Audrey Hepburn et ses croissants dans Breakfast at Tiffany’s, ou version rat des champs, avec la famille Ricoré dans les champs. Bref, dans un cas comme dans l’autre, très éloigné de nos quotidiens contemporains.
Jusqu’à il y a encore peu de temps, beaucoup d’adultes zappaient le petit-déjeuner pour cause de temps de trajet à rallonge, de course contre la montre pour préparer les enfants le matin, ou simplement : pas faim. L’offre de ce moment de consommation était donc peu développée tant en GSS (hormis le rayon céréales pour enfants !) que dans l’hospitalité.
Mais devinez qui est passé par là ? Non pas le furet mais le Covid qui, à nouveau, a changé profondément nos habitudes.
En effet, durant cette période de confinement qui a touché quasiment tous les pays, le temps s’est allongé, les rythmes quotidiens se sont modifiés et les temps de transport … ont disparu. On avait donc le temps le matin de prendre un petit-déjeuner (et d’ailleurs on avait globalement beaucoup trop de temps pour manger, pâtisser, faire des apéros ou grignoter !).
Grâce au confinement, le petit-déjeuner a retrouvé ses lettres de noblesse et les a ensuite gardées. En effet, le petit-déjeuner est désormais un repas à part entière, ce qui change considérablement la (s)cène alimentaire tant pour les IAA que pour les professionnels de l’hospitalité.
Morning routine
Sociologiquement, dans les différents instants de commensalité, le petit-déjeuner constitue un temps à part, comme un sas entre la nuit et le jour, entre sphères privée et publique. C’est l’un des rares repas, surtout en France, où il est accepté, voire considéré comme normal, de manger chacun quelque chose de différent et non pas tous le même repas.
Si historiquement en France, le petit déjeuner est surtout sucré et composé soit de viennoiseries soit de pain/beurre/confiture, il évolue considérablement notamment grâce aux tendances en matière d’alimentation et au métissage culturel.
Dans les grands changements, on peut noter une recherche croissante pour des petits-déjeuners salés (la « mode » IG étant passée par là), très visuels type avocado toast ou bowl et surtout protéinés (œufs, oléagineux ou laitages) avec un vrai souhait de faire du petit-déjeuner un repas sain pour bien commencer la journée.
Une autre transformation profonde à mentionner est celle du « petit-déjeuner all day ». En effet, dans les nombreux décloisonnements que l’on observe dans nos sociétés (décloisonnement des espaces dans les intérieurs, décloisonnement du rythme travail/vie privée, etc…), il faut aussi noter celui des habitudes alimentaires : on peut manger de tout à n’importe quelle heure : chacun son rythme, chacun ses envies. Et les aliments traditionnellement associés au petit-déjeuner sortent donc de la case matinale pour être consommés toute la journée.
Comme le mentionne Joe Adney, directeur marketing de Farmer Boys
« Breakfast has become not a daypart but a food group” (i.e. : le petit-déjeuner n’est plus un instant de consommation mais une catégorie à part entière).
Et ces nouvelles habitudes ont un impact fort, tant sur les industriels que sur la restauration hors domicile.
Intérieur jour
Pour répondre à la demande croissante des consommateurs, la catégorie des produits du petit-déjeuner a été une des plus dynamiques en termes d’innovation ces dernières années avec – quasiment à chaque fois- des produits positionnés à la croisée du sain et du pratique. Car, même si pour les aliments consommés au petit-déjeuner, le caractère routinier et la gourmandise restent des indispensables, ils n’échappent pas à la grande tendance de fond vers une alimentation plus saine, végétale et « nutritionnellement intéressante ».
Au rayon céréalier, de nombreuses nouveautés tournent autour du pain et des biscottes (complet, sans sucres ajoutés, réduit en sel, sans croûte, bio, sans gluten), et des céréales (réduites en sucre, riches en fibres, avec des supers aliments, en petit conditionnement ambulatoire). Au-delà des produits Harry’s ou Pasquier, on peut notamment citer Breadly, des pains de mie nutritifs aux légumes, les gaufres Unwaffle végétaliennes, sans gluten et enrichies en protéines, l’arrivée en France de la marque canadienne de céréales haut de gamme La Fourmi Bionique ou la sortie aux Etats-Unis d’une nouvelle marque de céréales par Kellogg’s Eat your mouth off avec des produits plus sains, vegan, réduits en sucre et riches en protéines
Au rayon laitier, l’explosion des skyrs a permis à la catégorie de l’ultrafrais de croître de plus de 10% en 2023. Ils sont déclinés désormais de multiples façons notamment en skyr à boire (Danone), skyr énergie (Yoplait) ou skyr végétal (MoRice). Autre grand développement de la catégorie, les yaourts couverts avec un topping de céréales ou de graines de chia et la petite cuillère directement intégrée dans le packaging pour une consommation ambulatoire.
Au rayon végétal, au-delà des marques toujours plus nombreuses à investir la catégorie des laits végétaux, on peut aussi remarquer la multiplication des pâtes à tartiner à base d’oléagineux encore dans cette optique de saine gourmandise (Go Nuts notamment ou l’arrivée récente de Andros sur ce type de produits avec son Be Nuts) et celles des barres pour un petit-déjeuner rapide, ambulatoire et nutritif (par exemple les RXBAR qui reprennent la saveur du bonbon éponyme ou les barres Nakd)
Au rayon boissons, on fait du neuf avec du vieux ! La chicorée fait son grand retour avec – au-delà de la marque incontournable citée en introduction – de nouvelles marques artisanales qui valorisent et modernisent, tant dans les codes graphiques que dans l’usage, cette boisson considérée comme old school (Cherico ou Nourée notamment). Une autre marque profite de son capital nostalgie pour diversifier son offre vers des propositions orientées sur le petit-déjeuner : Cacolac avec sa collection Barista destinée aux adultes
Si l’on peut considérer que l’offre des industriels autour du petit-déjeuner est passée de la nuit au jour, ce n’est rien comparé à celle de l’hospitalité sur cet instant de consommation.
Petit-déjeuner, grandes opportunités
Pour résumer en quelques mots, le retour en grâce (et en force) du petit-déjeuner a profondément transformé l’économie de la restauration hors domicile de trois façons : nouveaux lieux, nouveaux horaires, nouvelles expériences.
Nouveaux lieux tout d’abord avec la multiplication des coffee-shops. Ces établissements d’origine – et d’ambiance- anglo-saxonne, proposent une carte courte resserrée autour de boissons à base de café et de quelques propositions de petit déjeuner (granola, carrot-cake ou egg muffin). Si on pouvait les compter sur les doigts d’une main il y a encore quelques années, ils se multiplient dans toutes les villes avec une offre répondant totalement à la triple problématique des clients le matin : bon (ces lieux ont une vraie expertise sur le café de spécialité), pratique (tout est prévu pour être consommé à emporter) et rapide. Une preuve s’il en fallait que ces coffee-shops, qui étaient au début des lieux d’initiés, deviennent partie intégrante de l’écosystème de l’hospitalité : même les chefs s’y mettent. On peut ainsi mentionner le coffee-shop du très médiatique Cédric Grolet (ouvert en février de cette année), Tapisserie Paris (du toujours hype Bertrand Grébaut), le Café Bouillet ouvert à Lyon l’année dernière par le pâtissier éponyme ou l’Eclair de Génie, café ouvert dès 2022 par Christophe Adam.
Nouveaux horaires ensuite avec l’apparition des petits-déjeuners “all day”. Comme mentionné plus haut, de plus en plus d’établissements proposent une offre de petit-déjeuner toute la journée pour répondre à une demande croissante des clients.
En effet, selon une étude réalisée par Harris Poll en 2021, 79% des consommateurs mangent des aliments liés au petit-déjeuner en dehors des horaires classiques et 62% de la Gen Z déclarent aimer consommer un petit-déjeuner à des horaires non conventionnels et notamment tard le soir (i.e. en soirée).
Ce nouveau rythme, s’il correspond d’abord à une évolution des modes de vie, répond aussi à des préoccupations économiques fortement présentes actuellement. En effet, les plats dits « de petit-déjeuner » à base d’œufs, de granola, d’avocado toast ou de gaufre, sont en général moins coûteux qu’un plat à la carte pour le déjeuner et le dîner et permettent donc de se restaurer hors domicile tout en contrôlant son budget. Les lieux avec une carte à la croisée du petit-déjeuner et du brunch sont donc de plus en plus nombreux et on peut notamment mentionner le succès de la franchise Eggspectation qui profite totalement du phénomène. Crée en 1993 au Canada, elle est réputée pour ses omelettes, ses œufs Bénédicte “and all the things breakfasty” et est désormais présente à l’export dans plusieurs pays dont notamment les Etats-Unis ou Dubaï. On peut aussi mentionner le café Foufou ou Season à Paris, the Breakfast Club à Londres, Benedict à Berlin ou Waverly Diner à New-York qui montrent combien ce phénomène est mondial.
Nouvelles expériences enfin car le petit-déjeuner fait partie intégrante de l’offre dans l’hôtellerie. Déjà en 2020, 70% des voyageurs français déclaraient que leur choix d’hôtel dépendait de la qualité de l’offre de petit-déjeuner (étude YouGov). S’il était, pendant longtemps, vu comme uniquement fonctionnel (i.e. se sustenter pour démarrer la journée), il devient désormais un point central de l’expérience client (et donc un vrai levier de business) par deux aspects :
C’est généralement le seul repas que les personnes prendront dans l’établissement (donc autant le soigner !)
C’est un des derniers points de contact entre le client et l’hôtelier (donc mieux vaut finir sur une bonne impression !)
Il est donc facile de comprendre pourquoi les hôtels accordent désormais beaucoup plus d’attention au petit-déjeuner, tant par le choix de la formule (du salé, du sucré, du sans gluten, etc…) que par le sourcing des ingrédients (avec une forte attention à proposer une offre locale ou régionale différenciante et du fait-maison). Le petit-déjeuner devient ainsi une expérience en totale cohérence avec le positionnement de l’hôtel. On peut notamment citer le dispositif Haute-Croissanterie de Sofitel déjà évoqué ici, le petit-déjeuner de l’hôtel Hoy à base d’açaï ou de pollen, en lien avec le positionnement bien-être de l’établissement ou le petit-déjeuner des Mariott « chaud » et « personnalisé » grâce à un système à la fois de libre-service et de commande à la minute. Un cran au-dessus, le Cinq Codet à Paris propose un petit-déjeuner où Chef et clients se retrouvent « autour d’une table d'hôte, dans une cuisine ouverte – ou « show kitchen » – permettant au Chef d’échanger avec ses convives et de réaliser leurs moindres envies ». Last but not least, pour les restaurants 2 ou 3* Michelin qui proposent aussi une offre d’hébergement, le petit-déjeuner constitue la clôture d’un joli voyage après un repas à la tablé étoilée et une nuit au sein de l’établissement. Il se doit d’être comme la signature du Chef à la fin de l’histoire, en totale cohérence avec tout ce qui a précédé. A ce titre, on peut citer le petit-déjeuner de Christopher Coutanceau à base d’huitres et d’œufs brouillés au poisson fumé par ses soins ou celui d’Anne-Sophie Pic, où l’on retrouve le banon, l’ingrédient d’un de ses plats phares, ici présenté avec un coulis cuisiné.
Salé ou sucré, à domicile ou ambulatoire, rapide et 3*, vous l’aurez compris, quel que soit le moment où vous lirez cette newsletter, c’est forcément l’heure du petit-déjeuner !
Buzz et booze
Au rayon boissons – et pas (encore !) pour le petit-déjeuner -, 3 actualités de ces derniers mois qui témoignent de l’importance croissante des cocktails dans l’hospitalité
Margot Lecarpentier, mixologue reconnue à la tête du bar Combat à Belleville, vient d’être nommée « Cheffe mixologue » du groupe Alain Ducasse et signera la carte de cocktails des différents restaurants du groupe dans le monde. Il faut reconnaître à Alain Ducasse la capacité à capter les tendances et à s’entourer des bonnes personnes au bon moment
Un article paru début mai dans The New-York Times explique comment les tiny drinks (i.e. les « shots ») s’affirment comme une nouvelle façon de consommer les cocktails. Ce format s’ancre moins dans le fait de boire que de trinquer et de partager un moment de convivialité avec quelqu’un. Des portions repensées par les barmen qui réaffirment l’essence même de la convivialité après la pandémie
Hennessy lance son premier cocktail en bouteille pour conquérir un nouveau marché à fort potentiel : les cocktails prêts à boire (RTD en anglais). Conçu en partenariat avec le bar Cravan, ce cocktail en bouteille nommé le « Boulevardier » s’inspire de la recette du Negroni en y ajoutant la touche Hennessy. Une (petite) révolution pour la maison historique qui répond ainsi à une attente forte des clients, l’expérience des cocktails de bar à la maison.
Cheers, c’est fini pour aujourd’hui !