Crème diplomate
La gastronomie joue, depuis Talleyrand, un rôle clé, tant dans les relations diplomatiques que dans le rayonnement d’une nation à l’échelle mondiale.
La France, dont la suprématie en la matière était indiscutable pendant plusieurs siècles, est de plus en plus challengée sur le sujet par des pays qui souhaitent aussi accroître leur influence internationale par les palais plutôt que par les armées.
Pour réaffirmer le leadership national en la matière, le gouvernement a détaillé la semaine dernière le contenu du « Programme haute gastronomie » (on retrouve dans la sémantique le terme « haut » déjà mentionné dans cette newsletter) structuré autour de 3 axes :
Repérer et accompagner les acteurs de la gastronomie française : notamment via la création d’un centre d’excellence tel un Clairefontaine de la gastronomie pour mieux préparer (et réussir !) les compétitions internationales (ces grands rendez-vous très exigeants en termes de préparation sont généralement assumés seuls par les candidats)
Accompagner les entreprises du secteur à l’international : soutien à l’exportation des chefs vers le Moyen-Orient et l’Asie de l’est via un programme d’accompagnement sur 6 à 8 mois
Renforcer la promotion de la « Haute Gastronomie française » via des événements tel Goût de France ou des actions plus grand public. Car le rayonnement d’une culture culinaire passe aussi par son adoption par le plus grand nombre
Avec une enveloppe modeste (vu les enjeux) de 1,5 millions d’Euros, c’est Haute Gastronomie mais loin d’être haut budget !
On casse la croûte ?
Soyons réalistes, tant par sa prononciation que dans l’imaginaire qui lui est associé, le mot croûte, n’est pas– de prime abord – ce qu’il y a de plus séduisant.
Au Moyen-Âge, quand elle est apparue, la croûte n’était pas destinée à être mangée. Elle était simplement là pour protéger les garnitures (majoritairement des pâtés de viande) pendant la cuisson et les conserver ensuite (à l’instar de la pâte qui sert à luter certains plats pendant des cuissons telles que le baeckoffe ou des saint jacques). Les anglais l’appelaient d’ailleurs au début « coffin » (cercueil en anglais) ce qui témoigne bien de son unique fonction : protéger la garniture à la cuisson avant être jetée.
Devenue comestible – et plus appétissante – à la Renaissance, la pâte s’est progressivement transformée en incontournable des plats salés et sucrés de toutes les cultures culinaires occidentales - des pies anglo-saxons aux tourtes françaises, en passant par les torta italiennes. Les années 50-60 marquent son apogée avec, à la fois des ménagères qui revendiquent toutes une recette fétiche d’apple pie ou autre pithiviers, et la naissance des premières marques de l’industrie agro-alimentaire qui proposent des pies et tourtes prêtes à être réchauffées.
Depuis, la pâte s’est encroûtée (facile mais très vrai !). Son image ringarde et industrielle l’éloignait des aspirations des années 90-2000 de wellness et de cuisine moléculaire.
Mais la pâte n’a pas dit son dernier mot et redevient tendance pour 4 raisons principales :
Elle est instagramable, ce qui est devenu un mandatorie en termes de food à l’heure actuelle. La croûte très travaillée ainsi que la découpe qui met en valeur le travail de montage du plat en pâte ont en effet un haut potentiel de likes par leur côté très géométrique et graphique.
Elle est ambulatoire : une tranche de pâté en croûte ou une tourte individuelle sont pratiques et rapides à manger avec les doigts. Elles constituent donc un encas tout à fait approprié à une consommation nomade qui prend de plus en plus d’importance dans nos modes de vie
Elle est multiple : au-delà du principe de base (une croûte, une farce et parfois un liant type gelée ajouté après cuisson), la pâte se prête à de multiples variations permettant à chaque cuisinier ou charcutier d’exprimer son style mais aussi à chaque régime alimentaire de trouver pâte à son pied (poisson, légumes, sans porc, etc…). Un support parfait à l’heure de l’individualisation de nos sociétés.
Elle est réconfortante : dernier point mais non des moindres, la pâte est cocoon. Surfant totalement sur l’aspiration actuelle (et forte !) du retour aux valeurs sûres, la croûte a quelque chose de rassurant tant dans sa forme (qui enveloppe) que dans la nostalgie qu’elle réveille des plats légèrement vintages mais qui sont de véritables madeleines de Proust.
La croûte redevient donc trendy et nous livre une masterclass de come-back en 3 étapes-clés.
Acte 1 : le pâté en croûte
Premier à être revenu sur le devant de la scène il y a déjà quelques années, le pâté en croûte (pâté croûte pour les Lyonnais – décidément de gros débats en France à l’instar de pain au chocolat et chocolatine) a même quasiment acquis désormais le statut de hipster. Surfant sur la vague de la bistronomie, remédiatisé grâce au Championnat du Monde de la spécialité qui se tient tous les ans, le pâté en croûte se décline à toutes les sauces et partout dans le monde. A l’origine charcutier, on le trouve désormais dans des versions marine, tout légumes, voire même sucrées, avec des « « collections » qui viennent rythmer les saisons. En France, il faut bien évidemment citer la Maison Vérot (qui après avoir sorti un premier opus Terrines, rillettes, saucisse et pâtés croûte a sorti une V2 intitulée Terrines, feuilletés et pâtés croûte avec des légumes), Lastre sans Apostrophe ou, à Lyon, les maisons Sibilia ou Cellerier.
Le très français pâté en croûte est devenu un phénomène mondial et se retrouve à la carte de nombreux restaurants, mixant ses origines et la culture locale. Les Japonais ont été les premiers à surfer sur la vague mais on peut aussi citer le pâté en croûte “Bahn mi” du restaurant Aru à Melbourne, les variations américaines de Maison Nico à San Francisco ou la version zéro déchet chez James Pilcher, du restaurant The Ferry House au Royaume-Uni.
Preuve de sa dimension culturelle voire iconique : le pâté en croûte a désormais son badge dans la très chic maison Macon&Lesquoy.
Acte 2 : le Wellington
Le retour en force du pâté en croûte a réveillé l’intérêt des chefs pour les plats en pâte et le Wellington a été le deuxième à prendre la vague.
Très populaire dans les années 60 (notamment grâce à la cheffe Julia Child ou au président Nixon qui en réclamait pour tous les dîners d’Etat), c’est à Gordon Ramsay qu’on doit son retour sur le devant de la scène. Autoproclamé « Ambassadeur du Wellington », il a, par ses nombreux restaurants et son aura médiatique, largement contribué à faire (ré)apprécier à sa juste valeur ce plat technique qui peut vite devenir catastrophique s’il est mal maîtrisé. Preuve en est, s’il en fallait, que le bœuf Wellington est devenu son plat signature: ses restaurants de Las Vegas en écoulent 1200 portions par jour.
Après l’impulsion donnée par Gordon Ramsay, le Wellington, par la grande maitrise technique qu’il requiert, a permis à de nombreux chefs d’exprimer leur virtuosité, devenant ainsi un plat incontournable de plusieurs restaurants. Parmi les plus connus, on peut notamment citer celui du restaurant Bozar à Bruxelles, mais aussi celui à la biche du restaurant Elmer à Paris, celui au porc ibérique du chef espagnol du restaurant Xiquet à Washington ou celui du restaurant Coquille en Chine servi avec une huître fumée pour un accord terre-mer surprenant (aussi surprenant que le prix : 250$, tout de même).
Dernier indice de la coolitude du Wellington ? La vidéo diffusée sur Instagram il y a moins d’un mois, de deux des frères Beckham se filmant en train de préparer un bœuf Wellington et qui cumule déjà quasiment 156 000 likes.
Acte 3 : les tourtes et pies
Derniers plats à profiter de cette nostalgie culinaire : les pies et tourtes.
Petite précision gastronomique et culturelle tout d’abord (grâce à l’aide de la pointue Pascale Weeks qui nous régale de recettes et astuces documentées dans sa newsletter) : la pie diffère légèrement de la tourte par sa garniture (celle de la pie, anglo-saxonne, est hachée plus finement, là où la version française valorise un hachage qui laisse de gros morceaux pour montrer la noblesse de la matière première) et par son caractère plus générique (la tourte est toujours constituée d’une pâte au-dessus et d’une pâte en dessous, là où la pie en a au moins une pâte mais pas forcément toujours les deux).
Bref, ce qu’il faut retenir, c’est que l’une comme l’autre reviennent en force et surtout à tous les niveaux de la scène culinaire. A différents instants de consommation tout d’abord : du petit-déjeuner (ce que les américains appellent “Pie for Breakfast”), au dîner, mais aussi à tous types de restauration : de la street-food à la version gastronomique très travaillée. Deux exemples récents qui illustrent parfaitement cette dynamique :
L’ouverture de “Groot la tourte” : un concept de street-food inédit ouvert début 2024 par 2 anciens Top Chef et qui entend rendre accessible la gastronomie des grands restaurants via le format tendance et ambulatoire que constitue la tourte (on y trouve effectivement différentes recettes très travaillées, de la végé à base d’artichauts barigoule à la version marine avec de la truite de l’Aube en passant par la classique à base de poulet de Bresse)
L’arrivée du Chef Calum Franklin (surnommé en Angleterre « the King of Pie ») à Paris avec l’ouverture de “Public House Paris” où il propose ses recettes phares de pies. Le Chef n’est pas un débutant en la matière puisqu’il avait ouvert, dès 2017, au sein de son restaurant Holborn Dining Room à Londres une Pie Room.
Bref, vous l’aurez compris, si en 2024 tu n’as pas mangé au moins un plat en croûte, tu as raté ta vie (mais je ne vous mets pas la pression 😉).
What’s the fork ?!
Les marques en font de plus en plus le constat : un produit, même très bon, ne suffit plus. C’est l’expérience proposée, l’histoire racontée voire les passerelles créées avec d’autres marques qui favorisent l’attachement des clients.
Et s’il y a bien une marque qui a compris qu’il fallait désormais avoir un positionnement lifestyle et eatertainment, c’est Heinz.
L’emblématique ketchup rouge multiplie en effet les coups de com’ et les éditions limitées à un rythme certes surprenant mais qui – il faut le reconnaître – colle parfaitement à l’air du temps.
La preuve par 3 :
Mai 2023 : annonce du lancement du « Heinz remix » pour les restaurants : un distributeur de sauces personnalisables pour permettre à chaque client de composer une sauce unique à son goût ==> dimension customisation
Septembre 2023 : commercialisation d’une peinture rouge pour la décoration d’intérieur dans la teinte exacte du ketchup Heinz (teinte baptisée Red HTK 57) en partenariat avec Lick paints ==> dimension lifestyle
Avril 2024 : commercialisation d’une sauce « Classic Barbie-cue », bien évidemment rose pour célébrer les 65 ans de la poupée éponyme ==> dimension Entertainment
Vous voulez connaître les prochaines tendances ? Plutôt que de lire dans le marc de café, prenez une cuillère de ketchup Heinz !
Merci Camille pour ta newsletter, toujours passionnante.