Hostilités dans l’hospitalité
La rivalité entre LVMH et Kering dans la mode n’est pas nouvelle, même si Kering marque un peu le pas ces derniers temps). Ce qui est nouveau en revanche, c’est que dans ce mouvement des marques à devenir beaucoup plus globales et lifestyle, chacun avance ses pions pour conquérir le domaine de l’hospitalité.
Ainsi, chaque groupe a annoncé en décembre une nouvelle étape dans cette dynamique :
Kering tout d’abord, avec sa marque Ginori 1735 (manufacture de porcelaine italienne avec une offre haut de gamme d’arts de la table), passe à la vitesse supérieure sur l’art de vivre en lançant son concept de « Café Ginori ». Ce lancement s’accompagne de la conclusion d’un accord avec le groupe Marriott pour déployer le concept à grande échelle dans les hôtels St Régis
LVMH pour sa part, a investi dans le groupe « Les Domaines de Fontenille ». Cet investissement vient compléter, avec une approche davantage « Maison de famille » (une des grandes tendances futures du secteur), le portefeuille de marques hôtelières du groupe qui compte déjà notamment l’ensemble des établissements Cheval Blanc
Un coup supplémentaire de chaque côté, dans une partie loin d’être finie !
Croissant-sationnel
La fin du mois de janvier est arrivée et, avec elle, une certaine overdose de galettes. En effet, ce qui fut, pendant longtemps, un produit plutôt simple et traditionnel (« J’aime la galette, savez-vous comment ? ») devient maintenant un véritable exercice de style pour les pâtissiers qui rivalisent de virtuosité pour créer des galettes toutes plus spectaculaires les unes que les autres, avec un feuilletage proche de la marqueterie.
Bonne nouvelle : les galettes, c’est fini pour un an.
Mauvaise nouvelle (ou pas) : on va encore manger du feuilletage pendant un certain temps.
En effet, la viennoiserie, et notamment le croissant, prend de plus en plus le pas sur la pâtisserie et le métier de tourier (celui qui prépare les pâtes, dont le technique feuilletage) jouit d’une véritable revalorisation.
Nous reviendrons juste après sur les raisons de ce succès croissant (dans tous les sens du terme !), mais on peut d’emblée mentionner trois faits qui ont très certainement contribué à changer la donne :
2008 : lancement par Pierre Hermé du croissant Ispahan, qui marque un tournant dans la perception du croissant, passant de « simple » produit de boulangerie à création sophistiquée
2013 : création du Cronut par Dominique Ansel. Qu’on l’aime ou le déteste, cet hybride entre croissant et donut a marqué une nouvelle dynamique de créativité et d’internationalisation pour la viennoiserie
2016 : le magazine de mode T du New-York Times désigne les croissants de Lune Croissanterie à Melbourne comme les meilleurs du monde, montrant ainsi que l’excellence en termes de viennoiserie n’était pas franco-française et redynamisant la scène boulangère internationale
Les raisons du succès
Si le croissant, sous toutes ses formes comme nous le verrons ensuite, devient un produit de plus en plus demandé et proposé, c’est principalement pour quatre raisons.
Format nomade : s’il peut être légèrement compliqué de manger en marchant un Paris-Brest avec une crème pralinée débordante ou une tarte au citron avec une meringue atteignant des sommets, le croissant a le mérite de pouvoir être mangé sur le pouce (avec tout au plus quelques miettes à épousseter) et convient donc bien à la consommation ambulatoire, en progression constante
Positionnement « psychologiquement » abordable : on le sait, surtout en France l’année passée, l’inflation et les prix ont été un sujet de préoccupation central des ménages. Les viennoiseries sont souvent moins chères que les pâtisseries ce qui en fait une gourmandise accessible. Leur adoption est d’autant plus facilitée qu’elles sont perçues comme étant un produit du quotidien (alors que les pâtisseries sont, quant à elles, plutôt associées à des occasions spéciales ou festives)
Goût universel : la sensibilité au sucre (voire à certaines saveurs) varie grandement d’une culture à l’autre. Les croissants, peu sucrés et avec un feuilletage, qui – d’une manière ou d’une autre- existe dans toutes les cultures, plaisent quasiment à tous les palais d’Orient et d’Occident. Ce caractère peu clivant a permis une diffusion rapide de la tendance à l’échelle mondiale
Instagrammabilité : last but not least, bien évidemment, à l’époque des réseaux sociaux qui réclament du spectaculaire et de la nouveauté, le croissant cartonne avec son feuilletage, tantôt body-buildé tantôt laqué, et son bruit façon ASMR
Bref, le croissant passe de produit secondaire à it-food du moment et la catégorie de la viennoiserie dans son ensemble (prête à cuire, surgelée, fraîche) est en croissance sur tous les continents, avec un notable +15% en 2023 au Royaume-Uni.
Si l’on regarde un peu plus en détail cet attrait pour le croissant, on se rend compte que la tendance, comme beaucoup de nos phénomènes sociétaux contemporains, se polarise en deux extrêmes : la recherche de la quintessence du goût d’une part, et la recherche du maximum de buzz d’autre part.
A la recherche du croissant perdu
Dans sa version haut de gamme, on observe une tendance à la quête du “croissant absolu” qui passe aussi bien par un sourcing ultra-pointu que par une recherche de la technique la plus parfaite.
Deux exemples, un en France, un outre-Atlantique, illustrent ce phénomène. En France, la « collection de coffee-shops » Moon Croissant, dont une boutique est installée boulevard Beaumarchais à Paris, affiche dans une esthétique volontairement minimaliste, son message sur la vitrine « We dough better » avec le détail suivant « Nos croissants sont préparés sur 3 jours. Beurre d’Isigny – Sel d’Himalaya – Sucre de canne brut – Eau filtrée. » Technique + ingrédients, CQFD.
A Santa Monica, en Californie, Petit Grain Boulangerie s’inscrit dans la même lignée valorisant un sourcing des « meilleurs farines et beurres » et un travail sur le temps. Clémence de Lutz, la fondatrice, le résume ainsi :
« We are not looking to create some Instagram-worthy wackiness. It’s more like honoring the quintessential, classic technique.” (tdla : Nous ne cherchons pas à créer une folie digne d'Instagram. Il s’agit plutôt d'honorer la technique essentielle et classique)
Toujours dans ce positionnement de croissant haut de gamme, mais à une échelle nettement moins artisanale, on peut mentionner 3 initiatives qui s’inscrivent pleinement dans ce phénomène de montée en gamme
Sofitel a lancé le concept de « Haute Croissanterie » dont j’ai déjà parlé ici
Bridor collabore depuis 2021 avec Pierre Hermé sur une collection de « viennoiseries ultra premium pour tous les moments de la journée », composée d’un croissant et d’un pain au chocolat au cahier des charges strict
Gourmance, nouvelle marque de Episens (groupe InVivo) lancée en 2024 et destinée aux professionnels de la boulangerie. En collaboration avec Guy Martin, la marque allie « la haute qualité des ingrédients » et « l’excellence des recettes »
Autant vous dire que ce premier volet de la tendance, dans cette quête de purisme et de bon goût, regarde d’un très mauvais œil le second volet, qui est un peu au croissant ce que Mister Hyde est au Docteur Jekyll.
La gloire de mon croissant
Si le premier aspect de la tendance est plutôt dans l’être, dans ce second on est totalement dans le paraître. Le croissant est ici toujours plus visuel, spectaculaire, coloré, nouveau ou exclusif, au détriment parfois du goût.
Dans cette valse des croissants hybrides dont les réseaux sociaux donnent le tempo, on peut mentionner bien sûr le New-York rolls, le cruffin, le croissant cube, le croissant salé (omniprésent dans les brunchs trendy), le crookie, le croissant bicolore ou encore, dernier né, le flat croissant. La tendance (dérive ?) à la surenchère est telle que Eater, un magazine de référence aux Etats-Unis, a publié en juin dernier un article intitulé « Can we please let croissants be croissants ? » (tdla : est-ce qu’on peut simplement laisser les croissants être des croissants) qui pointe que toutes ces nouvelles créations aboutissent trop souvent à des viennoiseries très denses et grasses au détriment du plaisir gustatif.
Dans cette mouvance du croissant instagrammable, on peut mentionner 3 produits qui ont marqué/marquent les esprits
Le croissant-beignet de Cédric Grolet (5€) : un gros croissant dodu dégoulinant de crème et signé par le Chef star des réseaux, le succès était programmé
Le croissant XL de Philippe Conticini (32€) : un énorme croissant à partager qui répond à la double attente de consommation expériencielle et de convivialité
La boite de mini croissants céréales de l’Appartement 4F à New-York (50$ la boîte) : elle a déchainé un énorme buzz sur les réseaux sociaux, malgré son prix, et est révélatrice d’une tendance de fond : pour la Gen Z, la food est le nouveau luxe
Croissants sur canapé
La tendance du croissant va au-delà d’une simple hausse de la demande dans les boulangeries-pâtisseries, il s’affiche aussi fièrement comme un objet trendy. Dans cette dynamique, Lidl, dont on connait le talent pour faire des « coups » sur les tendances du moment, a lancé en août 2024 au Royaume-Uni un sac à main croissant en collaboration avec le collectif new-yorkais Nik Bentel Studio. Concrètement ? Un sac en cuir nommé « All butter croissant » qui rappelle la pochette en papier brun du distributeur dans lequel les clients emballent leur croissant et le croissant lui-même qui se trouve à l’intérieur en guise de porte-monnaie.
En France cette fois, deux marques qui incarnent ô combien la vibe et la tendance ont commercialisé des objets avec un motif croissant. Le concept-store parisien Fleux tout d’abord, avec un mug dont l’anse est un croissant. Gamin Gamine ensuite, la marque de vêtements pour enfants, qui a lancé l’année dernière une collection avec un print XXL croissant : hoodie, pantalon, tote-bag, il y en a pour toute la famille.
Pour aller jusqu’au bout de cette tendance, je vous souhaite en 2025 de croquer l’année comme les croissants : par les deux bouts !
Lu, vu, entendu
Si vous êtes à Paris (ou de passage à Paris), je vous invite à aller voir jusqu’à avril au Musée des Arts Décoratifs l’exposition « Christofle, une brillante histoire ». Cette marque, véritablement patrimoniale, a suivi les grandes évolutions culturelles et économiques de la société depuis 1830; la rétrospective offre une belle synthèse sociologique de ces deux derniers siècles.
Si le sujet vous intéresse, je vous recommande aussi d’écouter ce podcast avec sa Présidente, Emilie Viargues, qui insuffle une nouvelle jeunesse à la marque et parle avec passion de cette icone de l’art de vivre à la française.
J'étais totalement adepte du croissant nature, en mode 'pourquoi y rajouter des choses, c'est déjà tellement bon'... Jusqu'à l'autre jour où j'ai mangé un croissant jambon-fromage dans un petit coffee shop très quali. Ils me l'ont toasté et servi chaud... C'était un délice !! Je suis donc très ouverte à ces nouvelles tendances :-D Merci pour le partage de connaissances.
Tu me donne envie d’un croissant tiens 😊 Merci pour tes analyses pertinentes.