French flair (& food), menu du 4 décembre 2023
Pic(kle) de la tendance
Ladies and gentlemen, si vous avez commencé vos achats de Noël, arrêtez tout, voici LE produit à offrir (et à mettre au menu) pour les fêtes de fin d’année : j’ai nommé le … cornichon.
La « pickle trend » comme disent les anglo-saxons (ça fait tout de suite plus branché et moins jambon-beurre !) est en effet la surprise de cette fin d’année. Initiée, comme de plus en plus régulièrement, par les réseaux sociaux, elle a réussi à sortir du cadre virtuel pour s’ancrer dans notre quotidien. Il est donc désormais de bon aloi d’arborer fièrement un sweatshirt cornichon (200 millions de visionnage, quand même sur TikTok pour le hashtag #pickelsweatshirt) ou de mettre des coussins motif cornichon sur son canapé. Pour les moins téméraires, plusieurs marques de l’agro-alimentaire ont décliné leurs produits phares à la saveur cornichon. Heinz a ainsi présenté une nouvelle version de son ketchup saveur cornichon, une marque anglaise propose des chips saveur pickle (clairement, la version 2023 des chips salt&vinegar) et enfin, pour les plus aventureux, le mochi saveur cornichon !
A savourer à petites doses tout de même pour éviter que la fin d’année ne tourne au vinaigre.
De l’art et du cochon
Une question récurrente – je vous le concède – d’un petit cercle d’amateurs est la suivante : la gastronomie peut-elle être considérée comme une forme d’art ?
Sans faire une dissertation de quatre heures sur le sujet, on peut néanmoins convenir qu’elle y aspire de plus en plus. Si on prend la définition du Larousse, la gastronomie représente la « connaissance de tout ce qui se rapporte à la cuisine, à l'ordonnancement des repas, à l'art de déguster et d'apprécier les mets. ». Elle est donc littéralement d’abord une connaissance et une technique, avant d’être un art.
Néanmoins, à l’heure actuelle, de plus en plus de chefs veulent sortir du cadre convenu de l’assiette et exprimer leur sensibilité dans une dimension multifactorielle pour créer ce qui constitue clairement le leitmotiv de la décennie : une expérience globale.
Les espaces se décloisonnent, les frontières s’ouvrent et les connexions entre l’art et la gastronomie n’ont jamais été aussi nombreuses avec, non seulement, la création de nouveaux concepts hybrides comme nous le verrons plus bas, mais encore un effet miroir : d’un côté les chefs cherchent à créer une expérience qui mobilise tous les sens et, de l’autre, les musées développent de plus en plus leur offre de F&B (food & beverage) comme une partie intégrante de leur positionnement et de leur programmation.
Du côté des musées : à voir et à manger
Pendant de nombreuses années, le pôle restauration des musées (au sens restaurer les estomacs pas les tableaux 😉) était inexistant ou uniquement fonctionnel : manger rapidement et nourrir le corps après avoir nourri l’esprit. Mais désormais une nouvelle génération de restaurants de musée voit le jour, construits pour offrir un prolongement de la visite aux clients et pour générer un chiffre d’affaires supplémentaire pour l’établissement.
En effet, dans la même dynamique que les marques de couture qui se mettent à ouvrir leur café ou restaurant (ce qui faisait d’ailleurs l’objet du premier numéro de cette newsletter), cette diversification d’activité permet aux musées d’offrir une expérience globale et multisensorielle avec une carte des plats conçue en écho aux collections. On peut ainsi citer la Halle aux grains, le restaurant de la Collection Pinault, dont la carte est principalement composée de plats à base de grains anciens (kasha, sarrasin, et …) en souvenir de la fonction originelle du bâtiment ; le Musée Guimet (musée national des arts asiatiques) qui propose pour sa part une offre structurée autour de burgers Asian fusion ou de curry japonais ; le café du Musée Bourdelle dont la carte est truffée de références à la vie de l’artiste ; le Sarasota Museum aux Etats-Unis qui renouvelle la carte de son restaurant Bistrot en écho aux expositions temporaires ou le Museo Munoz Sola en Espagne avec son exposition Primario en 2021, où le public avait la possibilité de manger, en fin de visite, un menu comme une synthèse de l’œuvre.
Pour les établissements qui misent sur ce nouveau type d’offre, l’intérêt est crucial : faire (re)venir les visiteurs. En effet, entre le Covid qui a encouragé la pratique des visites virtuelles et l’offre de divertissements culturels qui s’est fortement amplifiée ces dernières années (forçant les consommateurs à faire des arbitrages), la fréquentation (et par extension la rentabilité) d’un musée est un enjeu fort, que la restauration aide à soutenir par plusieurs aspects :
Visibilité / notoriété : on le sait, l’alimentation a un très fort potentiel instagrammable. Une offre de restauration bien calibrée assure un certain nombre de posts sur les réseaux sociaux et donc une nouvelle visibilité pour l’établissement
Recrutement : si les musées peuvent parfois être vus comme intimidants (ou ennuyeux !), la restauration permet un premier point de contact pour des publics plus jeunes ou peu familiers des lieux culturels (notamment s’ils ont vu des posts sur les réseaux sociaux) et qui reviendront ensuite pour les collections
Fidélisation : un espace de restauration, en tant que lieu de convivialité, permet d’organiser une programmation supplémentaire mêlant tous les sens avec, par exemple, musique, performance live ou dégustation en lien avec la thématique du musée. Si les visiteurs ne viennent, en général, voir une exposition qu’une seule fois, ils pourront par contre venir une deuxième, troisième fois (voire plus !) pour assister à des événements en lien avec l’exposition qu’ils ont appréciée.
La restauration au sein des musées a désormais pris une importance telle que certains sont étoilés (le Modern du MoMA à New-York ou le RIJKS du Rijksmuseum à Amsterdam) et qu’une catégorie de « Meilleur restaurant de musée » a été créée au sein des LCD Awards (l’équivalent des oscars pour les musées).
Du côté des restaurants : repas servis show
Pendant très longtemps, l’objectif des restaurants gastronomiques a été de créer l’atmosphère la plus feutrée (neutre ?) possible afin que l’attention des convives ne soit portée que sur l’assiette : décors dans des tons sourds souvent de beige ou de gris, musique douce, température ni trop chaude ni trop froide, service discret, etc. Bref l’assiette était la seule et unique star pour exprimer le style du chef.
Désormais, le chef est la star (oserais-je dire plus que l’assiette ?) et veut bien évidemment toujours exprimer son style, mais, comme évoqué plus haut, en mobilisant tous les sens et plus uniquement le goût et l’odorat. La gastronomie pour « nourrir » ne suffit plus, les chefs cherchent à créer des émotions, à surprendre voire parfois à déstabiliser, ou en tout cas, interroger pour créer, à leur tour, une expérience complète.
Le tout premier chef, alors très avant-gardiste pour l’époque, à avoir proposé ce type de performance est Paul Pairet, avec son restaurant Ultraviolet à Shanghai ouvert en 2012 (récompensé de 3 étoiles Michelin depuis 2018). Ce restaurant qui se mérite (une liste d’attente de plusieurs mois et un menu imposé à plus de 1000€) est totalement unique en son genre. Une phrase mentionnée sur son site internet le résume totalement « Ultraviolet unites food with multi-sensory technology to create a fully immersive dining experience ». Effectivement, TOUT dans ce restaurant relève de l’expérience : du lieu tenu secret où les convives sont amenés en navette, au cadre mi-futuriste mi-industriel, en passant bien évidemment par le repas (20 « séquences », rien de moins) où chaque plat est mis en scène dans un jeu de sons et lumières.
Sans aller aussi loin – tant d’un point de vue géographique qu’expérientiel – de plus en plus de restaurants se positionnent sur le créneau du repas immersif pour répondre à une attente croissante de la clientèle. Petite précision : par immersif, on n’entend pas uniquement un décor un peu spectaculaire mais bien une cohérence globale de l’expérience, qui passe - bien sûr par le décor - mais aussi par la carte, l’accueil (de la réservation à la fin du repas) et par des jeux de sons et lumières. A Paris, le groupe Ephemera est le leader du domaine avec déjà trois restaurants à son actif : Stellar, Jungle Palace et Under the Sea (je vous laisse imaginer le thème associé à chaque restaurant). Le restaurant Ossiano à Dubaï, le Dinner in the Sky en Belgique ou Journey NYC à New-York témoignent de la portée mondiale de ce phénomène.
Nouveaux concepts : l’ère de l’eatertainment
Enfin, à la frontière entre art et gastronomie, apparaissent de plus en plus de concepts éphémères qui mêlent plusieurs domaines et le revendiquent fièrement comme une partie intégrante de leur valeur ajoutée. On peut notamment citer les Tablées signées en Belgique où un chef et un artiste se rencontrent dans une galerie le temps d’une soirée d’exception, Nightfall à Genève (dans le cadre de Art Genève), se décrivant comme « la fusion unique de la gastronomie et de l’art dans des lieux inattendus » (Anne-Sophie Pic y a notamment participé), le Food for Art de la Maison Ruinart qui fait se rencontrer chaque année un artiste et plusieurs chefs le temps de diners exclusifs ou l’expérience totale intitulée Rêve de couleurs proposée par Hermès qui mêle gastronomie (avec Bertrand Grébaut aux manettes), vidéo interactive et son.
Enfin, pour celles et ceux qui, après avoir mangé baignés dans l’art, souhaitent faire un peu de sport (mens sana in corpore sano), sachez qu’il est aussi possible d’associer séance de sport et art : Fibrilles propose en effet un concept de séances de sport où le mouvement relie le corps à l’œuvre (honnêtement plus arty que artiste !).
Hôtel is the new chic
Pour prolonger le point que nous venons d’aborder, l’ère du F&B est révolue et nous sommes désormais pleinement dans l’ère du F&B&E (food + beverage + entertainment).
Dans cette nouvelle équation de l’hospitalité, l’hôtel prend une envergure plus importante car il permet à une marque d’offrir non seulement des produits mais aussi SA vision du lifestyle et, surtout, d’entrer en connexion avec ses clients dans un moment de grande intimité : la nuit. En langage marketing, la marque prolonge et approfondit ainsi sa relation avec ses clients et la rend encore plus émotionnelle, elle les fidélise et en fait des ambassadeurs. En langage financier, elle génère un chiffre d’affaires supplémentaire et surtout durable (avec quelques investissements à la clé tout de même).
Bref, au bingo de l’expérience de marque, l’hôtel devient une case à cocher assez rapidement. Deux nouvelles maisons, dans deux domaines différents, viennent ainsi d’annoncer ces dernières semaines l’ouverture de leur hôtel.
Chopard tout d’abord avec son hôtel Le 1 (place Vendôme). Un hôtel ultra confidentiel qui joue sur le sentiment d’exclusivité et reprend, de manière très discrète, certains codes de la marque
Bollinger ensuite, qui prévoit l’ouverture d’un hôtel dans son fief à Aÿ-Champagne en 2026. Structuré autour de quelques chambres, d’un spa et d’un restaurant, l’hôtel permettra à la marque de proposer à ses clients et aux amateurs des week-ends thématiques autour du champagne et des émotions.
Où quand le lobby devient lubie !