French flair (& food), menu du 25 novembre 2024
Show-cacao
Si on vous demande d’associer un pays au chocolat, vous pensez à la Suisse ? Sachez que c’est désormais le “Dubai chocolate” dont il faut parler pour être tendance.
Le « Dubai chocolate », a priori inventé par Sarah Hamouda, est une tablette composée de chocolat au lait, de pistaches, de knafeh et parfois de tahini avec une esthétique colorée et raffinée, qui est devenue LA tendance virale absolue en quelques mois avec plus de 70 millions de vues sur TikTok et Instagram. Qu’on la déteste, qu’on s’en amuse ou qu’on la veuille absolument, il faut reconnaître que la tendance « Dubai chocolate » est un excellent prisme de notre société actuelle :
Importance du visuel et de la dimension instagrammable
Rôle des réseaux sociaux et des influenceurs dans la diffusion mondiale des tendances
Quête de la rareté et des expériences exclusives
Recherche du plaisir immédiat
La tendance est telle que Lindt, dont on peut souligner la réactivité pour sortir en quelques mois un nouveau produit, vient d’annoncer l’ajout à sa gamme d’une tablette Dubai Chocolate, composée de pistaches et kadaïf et reprenant les codes visuels de l’originale. Là aussi, Lindt joue sur la rareté en la proposant d’abord uniquement dans ses boutiques en propre, puis en ligne en Allemagne et peut-être plus si affinités.
En quelques mois, la tablette « Dubai Chocolate » a remplacé le ticket d’or de Willy Wonka.
Retour vers le futur
« Faire du neuf avec du vieux ».
L’expression, loin d’être nouvelle, témoigne d’une approche pragmatique consistant à réutiliser (upcycler si on veut être « in ») des éléments anciens pour produire quelque chose de nouveau. Jusqu’ici, je ne vous apprends rien.
« Newstalgia ».
Attention nouveau concept et mot-valise, qui, s’il peut sembler proche, est fondamentalement très différent. En effet, ici on ne s’appuie pas sur l’ancien au sens matériel et concret mais au sens émotionnel du terme. Ou comment proposer des éléments neufs « new » en jouant sur une corde sensible des consommateurs, la nostalgie « stalgia ». A la différence de la nostalgie, on ne cherche pas à recréer quelque chose à l’identique, mais plutôt à avancer, innover tout en se rassurant avec des codes « valeurs sûres ».
Le terme « newstalgia », apparu en 2009 et attribué au DJ Sean De Tore, a d’abord été utilisé pour la musique et la mode. Pour faire simple, il s’agit d’innover et de créer mais en intégrant des codes du passé et des éléments de réassurance qui provoquent directement un lien émotionnel avec les clients. Dans le domaine du son par exemple, les enceintes Marshall qui associent look rétro et technologies audio avancées s’inscrivent totalement dans ce phénomène. En 15 ans, cette tendance, d’abord confidentielle, s’est diffusée à l’ensemble des marchés, de la décoration d’intérieur au cinéma, en passant par ce qui nous intéresse ici : la food et l’hospitalité.
Dernière preuve, s’il en fallait une, que la « Newstalgia » est partout, Adobe l’a mentionnée comme une des 4 tendances majeures de l’année.
Pourquoi un tel déferlement ? Pour deux raisons principales qui touchent l’ensemble des générations, de la X à la Z.
Le contexte géo-politico-économique actuel : plus le contexte est incertain et mouvant, plus on cherche un refuge émotionnel. La newstalgie, en mélangeant avec adresse nostalgie et modernité, permet de revisiter des éléments familiers du passé mais en les réinventant avec des codes actuels. Elle répond ainsi au besoin de sécurité tout en valorisant l'adaptation au présent.
Les smartphones qui transforment notre rapport au temps : en offrant un accès permanent à des souvenirs enregistrés ou partagés, ils créent une fenêtre toujours ouverte sur le passé et une remémorisation constante d’instants vécus, valorisant ainsi « socialement » la nostalgie
Bref, la newstalgia, c’est comme découvrir l’association fleur de sel et chocolat, ou truffe et coquillettes : une fois qu’on y a goûté, on n’a plus vraiment envie de s’en passer et elle infuse donc tous les domaines de nos vies.
Home sweet home
Deux chiffres pour comprendre les enjeux : 82% des consommateurs déclarent apprécier et rechercher la « comfort food » et 38% des clients américains aiment les saveurs qui rappellent leur enfance. Les industriels l’ont bien compris et (sur)exploitent cette envie qui leur permet, à la fois de gagner des parts de marché et de créer une connexion émotionnelle forte avec leurs clients, mais aussi d’innover avec des coûts plus limités en se basant sur des actifs déjà existants. Pour ce faire, ils utilisent deux leviers principaux :
La création de nouveau produits répondant aux tendances nutritionnelles ou alimentaires actuelles mais avec des ingrédients aux saveurs d’enfance : barres protéinées au beurre de cacahuète, boisson végétale saveur céréales du petit-déjeuner ou cold brew aux M&Ms
Le come-back de marques culte de l’enfance mais avec une segmentation produit destinée à un public adulte : Cacolac qui lance une gamme barista, Milky-way avec son format canette « sans sucres ajoutés » ou Merveilles du monde avec une déclinaison chocolat noir
A la maison, cette newstalgia culinaire à la maison se manifeste aussi fortement par les arts de la table, secteur autrefois désuet, qui connait depuis quelques années une véritable expansion (avec un notable +16,2% de croissance en 2022), non pas drivée par les baby-boomers mais bien par les Millenials et la Gen Z.
Si les cocottes Le Creuset cartonnent aux Etats-unis depuis quelques années, notamment grâce à leurs nouvelles couleurs pop ou aux collaborations avec les licences Star Wars et Harry Potter, la newstalgia se manifeste surtout par un engouement récent pour l’esthétique de bistrot. En quelques mois, deux articles parus respectivement dans le NY Magazine et dans Eater (« New York City has a thing for bistro plates (and so do I) » et « How to bring the French bistro aesthetic at home”) donnent aux lecteurs tous les codes pour amener, de façon moderne, l’atmosphère unique des bistrots français chez eux. Le Gift Shop Club surfe aussi sur cette tendance en permettant à chacun d’acheter « les plus beaux souvenirs des institutions de Paris » et s’associe notamment avec le Bistrot Paul Bert, valeur sûre des amateurs, pour proposer à la vente des assiettes et des verres siglés « Bistrot Paul Bert ». (Ndla : les assiettes bistrot ont une esthétique effectivement très reconnaissable : en porcelaine blanche, assez épaisses, avec un ou deux cercles sur le rebord et bien souvent le nom du bistrot). Enfin, toujours dans cette newstalgia du bistrot, la marque Fermob, dont le succès à l’international est indéniable, vient de dévoiler sur Equip’Hôtel sa nouvelle chaise nommée « La Parisienne 21 » dont l’allure célèbre les chaises iconiques des brasseries et bistrots parisiens mais version 21ème siècle.
« Qu’est ce que je vous sers ? »
Les professionnels de l’hospitalité, tout comme ceux de l’industrie agro-alimentaire, ont bien compris cet attrait fort des clients pour la « newstalgia » et les établissements mixant les codes de l’ancien et du nouveau se multiplient.
Premier exercice de style : la brasserie
Dans la restauration, on peut penser bien évidemment au grand retour des bouillons et des brasseries avec notamment des groupes tels que Bouillon (Pigalle qui est vraiment l’établissement qui a relancé le genre, mais aussi désormais Bouillon République et leur offre traiteur), la Nouvelle Garde (Brasseries Dubillot, Belanger, Martin, etc…) ou les Brasseries à la Mode (Rosie, Rosie Lou). Tous jouent sur les codes de la nostalgie en proposant des grands classiques de la cuisine de brasserie française et en réussissant le difficile équilibre du faire du bon (producteurs locaux, cuisine maison) à pas cher (œuf mayo autour de 3€, saucisse purée entre 10 et 14€). La modernité est apportée bien évidemment par la décoration et l’ambiance mais aussi très régulièrement par une belle carte de cocktails (dont on sait que les nouvelles générations en sont grandes consommatrices). Sur le même modèle qu’un Big Mamma, la rentabilité (et la pérennité !) de ces établissements se fait sur le volume.
Cette tendance loin d’être franco-française, s’étend Outre-Atlantique où l’œuf mayo, les escargots et les moules-frites cartonnent notamment dans des néo-bistrots tels que Libertine, Le French Diner à New-York, Bûcheron ( !) à Minneapolis ou D.W. French à Boston. Il est à noter que quasiment tous ces restaurants ont ouvert il y a moins de deux ans.
Deuxième exercice de style : la cuisine bourgeoise
Moins connue que celle des brasseries, la cuisine bourgeoise effectue néanmoins un vrai retour en force sur la scène culinaire. Son rapport au temps diffère de celui des bouillons et des brasseries car elle se réfère à des codes plus lointains (19ème siècle) et les établissements qui la proposent s’attachent souvent à donner une impression de temps suspendu (là où pour les bouillons et les brasseries il faut que ça aille vite et que les tables tournent). J’avais, en 2012 (une éternité à l’échelle des tendances), déjà flairé la dynamique et écrit sur les prémisses du retour de la cuisine bourgeoise, à l’époque sur mon blog (c’était quasiment le temps où on s’envoyait des wizz sur MSN, bref quasiment l’ère glaciaire).
Concrètement, la carte des établissement proposant une cuisine bourgeoise est un peu plus raffinée que celle des bouillons et des brasseries, avec de belles pièces à l’honneur, un vrai travail sur les sauces, des plats de partage tels que le chou farci et des cocottes amenées directement à table. De même, l’ambiance tend à reproduire des codes type boudoir ou inspiration Empire, avec des couleurs sourdes, des tissus lourds, des éléments décoratifs opulents (tableaux, lustres, etc…). Néanmoins le « new » est bien là, grâce à des recettes travaillées de manière plus légères, des éléments de décoration avec un « twist » qui se jouent des codes traditionnels et, bien souvent, là encore, une belle carte de cocktails. Dans ces établissements qui signent le renouveau de la cuisine bourgeoise, on peut citer bien évidemment, à Paris, Faubourg Daimant, qui réussit le tour de force de proposer une cuisine bourgeoise uniquement végétale, The Yellow Bittern et Otto’s à Londres, ou Le Coucou à New-York.
Troisième exercice de style : le café PMU
Last but not least, oui, vous avez bien lu, le bar-café PMU passe de la catégorie « faute de mieux » à la catégorie « je viens exprès».
Des PMU traditionnels, on retrouve à la fois le style (avec banquettes en cuir et néons), le coin jeux et un caractère « populaire » qui en font de véritables lieux de vie, non pas choisis pour leur raffinement mais bien pour la convivialité qui y règne. Cependant, l’offre s’est modernisée pour correspondre aux attentes des nouvelles générations, avec notamment des bières de brasseries locales (oubliez la 1664), du café de spécialité (ciao le jus de chaussette avec le sucre Daddy dans son petit papier), de la comfort food maison et des jeux d’arcade ou des jeux de société. On coche bien ici toutes les cases de la « Newstalgia ». Le Syndicat, le Cornichon ou le Café du Coin à Paris, les Grands Gamins à Rennes sont quelques-uns des emblèmes de cette mouvance. Le PMU (lui-même !) vient de lancer ses établissement « Paris Mutuels Urbains », un nouveau concept destiné à recruter 1 million de nouveaux clients d’ici 2026, avec une « identité reprenant les codes historiques du PMU dans un esprit « bistrot à la française » remis au goût du jour » (avec des meubles made in France bien évidemment). Dernier signe, s’il en fallait encore un, que ce type d’établissement redevient désirable, le ô-combien branché Fooding vient de sortir la semaine dernière son tout premier livre intitulé “PMU, les 100 bars qui font la France".
Newie but oldie !
What’s the fork ?
Vous avez aimé la newsletter sur les nouvelles épiceries avec Erewhon en fer de lance ? Vous avez apprécié la dimension holistique prise par l’hospitalité ? Alors vous allez adorer Flamingo Estate, le nouveau lieu qui cartonne à Los Angeles et qui se présente sobrement comme « The home of radical pleasure » ( à comprendre plus ou moins comme le lieu des plaisirs d’un changement de vie radical).
A la lecture de leur site internet, on peut, soit rire, soit se dire simplement qu’il s’agit d’une enclave hippie qui a survécu aux générations, tant chaque phrase est une perle « Flamingo Estate is a pleasure-obsessed home of sun-worship, folk mythologies, and psychedelic remedies grown only by farmers we know and trust » ou « We’re the ardent dreamers, the fantasists, the wizards in the workshop, and we’re all doing it for the marvels of the natural world” pour n’en mentionner que deux.
Sauf que. Derrière cette façade idéaliste se cache un business model bien plus capitaliste basé sur une sélection produit hyper exclusive et, donc, avec un positionnement prix luxe (comptez 76$ la bouteille de 0,5 litre d’huile d’olive ou le pot de miel de la même contenance, 30$ la petite boite de champignons … qui accompagne parfaitement la « Regenerative Farm Box » , i.e. des fruits et des légumes, facturée 130$).
Le tout vendu dans un packaging ultra-léché et instagrammable, proche des codes de certaines marques de bijouterie, pour augmenter sa désirabilité auprès de la Gen Z. Bien évidemment, l’adhésion, facturée 96$ de plus par an, est fortement recommandée.
Même si on peut penser que le monde devient vraiment n’importe quoi, il faut reconnaître que Flamingo Estate ou Erewhon ne sont que la face visible de changements beaucoup plus profonds :
Le bien-être devient une notion centrale pour les nouvelles générations qui sont prêtes à payer (cher) pour cela
La notion de luxe est très relative et varie d’une génération à l’autre. Clairement pour la Gen Z, la food est devenue un poste sur lequel ils sont prêts à dépenser beaucoup
Pour Noël, oubliez donc le parfum, la ceinture ou le vase et mettez plutôt un smoothie Erewhon, une bougie à la tomate Flamingo Estate, ou les fameuses céréales mini croissants à 50$ la portion sur votre liste !