Mushroom-service
Je vous avais déjà parlé il y a quelques numéros maintenant de la place croissante des champignons dans nos vies avec ce que les Anglo-saxons, dans leur art de la sobriété, ont nommé « the mycelium movement ».
La tendance se confirme avec l’ouverture à Manhattan, en février, d’un restaurant entièrement dédié au champignon. Nommé Funghi, ce restaurant plant-based propose des plats uniquement à base de champignons - des dumplings de champignon “Lion’s mane” au crumble de champignons des bois et beurre d’algues nori, en passant par un enchilada des sous-bois.
Créé pour répondre à cet intérêt croissant des clients pour les champignons, le restaurant a pour ambition de « proposer une cuisine totalement végétale raffinée qui plaise à chacun, vegan ou non » (tdla). Un positionnement inclusif et proche de celui de Faubourg Daimant à Paris qui fait le buzz depuis son ouverture avec sa cuisine végétale raffinée et qui témoigne d’une mutation profonde de l’hospitalité (et des consciences individuelles) vers une alimentation moins carnée.
L’épicerie en connait un rayon
Quand on parle d’épicerie, viennent immédiatement en tête trois images.
L’épicerie du coin, véritable petite caverne d’Ali Baba qui sauve certains dimanches soir quand on découvre une pénurie de céréales pour le lendemain ou de dentifrice pour le soir même
L’épicerie fine (Hédiard ou Fauchon en tête) avec des coffrets de pâtes de fruits pour les grand-mères ou des cadeaux gourmets touristiques
L’épicerie Smoby - car oui, qui n’a jamais joué à le(la) marchand(e) » étant petit ?
Au-delà de ces trois « clichés » d’épicerie émerge un nouveau genre qui semble s’installer de manière durable dans le commerce de proximité.
Erewhon
Avant de rentrer plus en détail dans l’analyse de ce nouveau lieu d’hospitalité que constitue désormais l’épicerie, il faut se pencher sur le cas d’Erewhon.
Ce nom ne vous dit peut-être rien (pour le moment !) mais sachez qu’il est au commerce alimentaire ce que Suprême est à l’habillement : la hype absolue.
Pourtant au commencement en 1966 (à Boston puis, 3 ans plus tard, à Los Angeles), Erewhon est une simple épicerie avec un positionnement orienté macrobiotique/santé. Désormais, bien que l’enseigne ne compte que 10 établissements à Los Angeles, elle est devenue un symbole statutaire de la West Coast et fait partie en 2023 des trois plus grosses valorisations média US dans la catégorie supermarché/hypermarché à côté des deux géants que sont Trader Joe’s et Whole Foods.
Entre-temps, que s’est-il passé ? Le rachat en 2011 par l’entrepreneur Tony Antoci qui, sentant l’intérêt croissant des clients pour les préoccupations santé et bien-être, transforme Erewhon en une marque lifestyle exclusive.
Comment ? Grâce à une sélection produits pointue (la curation dont nous reparlerons plus tard), une véritable expérience de shopping en magasin, une ligne de produits dérivés (du tote bag au sweat) une affluence de célébrités shoppant les produits (et qui contribuent largement au « Erewhon effect ») et, surtout, grâce à ses … smoothies.
En effet, Erewhon a, de manière très intelligente, choisi comme produit iconique le smoothie qui permet :
D’ancrer le positionnement lifestyle cool de la marque : on ne compte plus le nombre de photos volées de stars avec leur smoothie Erewhon
D’offrir de multiples déclinaisons événementielles pour entretenir la désirabilité de la marque : le plus connu est le smoothie co-créé avec Hailey Biber et vendu pour la modique somme de 18 $, mais on peut aussi mentionner celui co-brandé avec la marque de skincare Agent Nateur et dont 16 000 exemplaires se sont vendus en un mois
De proposer un « luxe accessible » et de permettre ainsi à chacun d’avoir son fameux quart d’heure de célébrité : le commun des mortels ne peut en effet pas faire ses courses quotidiennes chez Erewhon mais peut se permettre un smoothie pour se prendre en photo avec et dire « moi aussi »
Bref, Erewhon a contribué à rendre l’acte d’achat alimentaire tendance et, surtout, en a fait non pas une corvée mais un nouveau temps (et lieu) de sociabilité. On est bien loin de la Supermarket Lady de Duane Hanson poussant son caddie.
Nouvelles attentes
En-dessous de cette face visible de l’iceberg que constitue le buzz autour de l’épicerie Erewhon se cache un phénomène bien plus profond accéléré par le Covid : l’acte d’achat alimentaire est devenu un petit luxe du quotidien.
Karl Lagerfeld, en grand visionnaire qu’il était (vous ai-je déjà dit que j’avais 3 passions dans ma vie : Dijon, Karl et Ottolenghi ?), avait organisé dès 2014 un défilé Chanel dans un supermarché entièrement reconstitué sous la nef du Grand Palais. Les mannequins défilaient dans des rayons garnis de « Cocoquillettes » ou de « Sardines au tweed », faisant ainsi passer l’acte d’achat alimentaire d’un acte fonctionnel et privé à un acte statutaire et social.
Ce passage du privé au public s’est à la fois renforcé et accéléré avec le Covid (période où – rappelons-le – quasiment la seule chose qu’on pouvait acheter était à manger et à boire !). Dans cette nouvelle vision des plaisirs du quotidien, des petits luxes à s’octroyer aussi bien pour sa santé physique que mentale, la nourriture a pris une place prépondérante et a surtout acquis, encore une fois, une pleine légitimité sociale. Il est désormais mieux socialement accepté de faire un unboxing de ses courses alimentaires avec leurs petites découvertes qu’un haul de sa dernière razzia Zara.
Une étude réalisée l’année dernière aux Etats-Unis pour le Vogue Business confirme cette tendance, plus particulièrement sur les jeunes générations. En effet, sur 166 jeunes âgés de 16 à 24 ans, plus de la moitié d’entre eux avaient acheté ce qu’ils considèrent comme un luxe alimentaire l’année passée.
Orange is the New Black and food is the new luxury.
Nouveaux codes
Avant de déterminer les marqueurs communs de ces épiceries nouvelle génération, il convient de mentionner ce qui les différencie des épiceries fines telles que nous les connaissons tous. Alors que l’épicerie fine va proposer des produits de qualité, luxueux et souvent avec une connotation exotique (caviar, épices, fraises d’Afrique du Sud en plein hiver), l’épicerie nouvelle génération va, quant à elle, chercher aussi (bien évidemment!) des produits de qualité mais en favorisant la proximité ou, en tout cas, la production en petite quantité.
Concrètement, toutes ces épiceries nouvelle génération ont en commun 3 attributs.
Curation : un aspect nouveau et complètement central pour ce genre de magasins. Certains trouveront sans doute qu’il s’agit d’un mot pompeux pour dire sélection produits mais la curation ajoute en fait une vraie dimension incarnée dans les produits choisis, tel l’œil d’un galeriste en art ou la patte d’un architecte pour le design d’intérieur. Les clients ne viennent pas pour avoir un choix impersonnel mais pour des produits vraiment choisis par une marque/une personne pour leur goût, leur histoire ou leurs bienfaits. Le phénomène est tellement puissant – et représente surtout une valeur ajoutée difficilement copiable - que commence à s’esquisser la notion de CaaS, à savoir Curation As A Service
Storytelling : tous les produits sélectionnés, en plus d’être bons, ont un narratif fort, basé sur le lieu de production, l’histoire du producteur ou un certain savoir-faire avec un packaging et des codes graphiques souvent très travaillés. Marques réputées et marques émergentes se côtoient ainsi dans des rayons qui contentent les clients, avant même la dégustation, dans leur désir croissant d’histoire derrière le produit
Communauté : le fameux « sense of belonging ». L’épicerie devient en effet un lieu de vie, un espace de socialisation qui crée des connexions. Au-delà d’aller y faire ses courses et d’adhérer à un programme de fidélité, on s’y retrouve aussi pour assister à des conférences, prendre un café ou suivre des ateliers. Bref pour y vivre des expériences toujours alignées avec cette dimension holistique qui constitue le cœur des attentes clients et, donc, le positionnement de ces nouvelles épiceries. Cela se traduit aussi bien visuellement dans l’organisation spatiale de la boutique (avec souvent une grande table communautaire ou en tout cas un espace avec quelques chaises où les clients peuvent se réunir), que commercialement avec un certain nombre de produits dérivés (car les clients sont fiers d’afficher leur sentiment d’appartenance à ce nouveau lieu lifestyle).
Nouvelles adresses
Ces épiceries nouvelle génération fleurissent dans les grandes villes.
Sur les marchés anglo-saxons, au-delà du fer de lance Erewhon, des épiceries telles que Foxtrot ou Happier Grocery aux US, ou The Grocery à Londres contribuent à l’expansion de ces nouveaux tiers lieux.
A Paris, Maison Plisson ou Causses s’inscrivent pleinement dans cette tendance. A Marseille, l’Epicerie idéale régale depuis longtemps les gourmets en quête d’exclusivité récemment rejointe par Moutchou. On peut aussi mentionner L’idéal à Lille ou Les Récoltants à Bordeaux.
L’Epicerie pas fine incarne ce nouveau modèle d’épicerie dans sa version online. Co-fondée en octobre de l’année dernière par Pharell Arrot, senior editor chez Konbini, elle offre une sélection partiale et éclectique (de la sauce piquante au chocolat, en passant par les livres) pour que la cuisine « respire le cool » avec des produits qui « ont tous une histoire, souvent marrante, parce qu’on n’est pas ici pour être élitiste ».
Si vous cherchez une destination trendy pour vos prochaines vacances, vous l’avez compris, l’épicerie is the place to be !
Mode de vie
La stratégie de diversification des marques de mode à différents domaines de notre vie est désormais actée. Après avoir investi la décoration d’intérieur et la food, la nouvelle tendance pour les mastodontes du luxe consiste à développer leur branche Entertainment, confirmant que nous sommes désormais dans une ère où le divertissement est roi. En effet, en l’espace de quelques semaines :
Saint Laurent a transformé une de ses boutiques parisiennes de prêt-à-porter en un espace culturel hybride mêlant notamment livres rares, disques épuisés et tirages photo pour en faire « une nouvelle destination culturelle (…) dédiée à l’art et aux nouveaux modes d’expression ». Ceci fait suite à la création, l’année passée, de la société « Saint Laurent productions » qui faisait alors de Saint Laurent la première maison de luxe à intégrer la production de films à part entière dans ses activités
LVMH se lance à son tour dans le divertissement comme centre de profit en annonçant il y a 15 jours la création de la structure « 22 Montaigne Entertainment » pour “co-développer, co-produire et co-financer" des contenus exclusifs en lien avec le portefeuille de marques du groupe. Cette société permettra notamment de nourrir le storytelling et d’accentuer le brand content dont on sait qu’il est désormais un axe-clé d’engagement client (recrutement et fidélisation) pour les marques
Nous sommes désormais pleinement dans le temps du content-tainment.
Merci d’avoir lu French flair (& food). Cette newsletter est comme la convivialité, elle est meilleure quand elle est partagée !
Bravo Camille pour cette NL passionnante que je dévore avec plaisir à chaque parution !
Pour rebondir sur le commentaire de Pascale, regarde ce que propose Sezono.
Belle semaine, Hélène
Merci Camille pour ta nouvelle newsletter. Je suis complètement d’accord sir l’engouement pour les champignons. Les pleurotes par exemple sont en train de faire un bon en raison de leur texture qui imite celle de la viande. On les retrouve dans les Shawarma végétariens notamment mais aussi dans des plats qui ressemblent au pulled pork 😊 Bonne semaine.